Délires à lire : nouvelle érotique à (forte) tendance lesbienne

Avant-propos : Je tiens à souligner ici que cette nouvelle fut écrite avec une contrainte stricte, incontournable, et insolite. Elle devait contenir au moins une scène érotique homo et une scène érotique hétéro. Ne vous indignez pas : le jury était à l’époque constitué de deux hétérosexuelles (dont l’une a d’ailleurs depuis lors, rejoint la communauté !) et il nous fallait les amadouer un minimum. J’en appelle à votre ouverture d’esprit et à votre clémence.

Je dois aussi vous prévenir que, pour des raisons de longueur, la lecture se fera en trois parties plus ou moins proportionnelles. Je vous souhaite une bonne lecture et attends vos impressions.

Délires à lire

 

  

Il est 14h45, c’est l’heure de Thérèse. Je sais que d’un instant à l’autre, elle s’apprête à franchir les portes de la bibliothèque avec son chignon poivre et sel et son cabas à rayures. Je l’attends vraiment avec impatience. Les Feux de l’Amour se terminent et comme tous les jours elle va se réveiller de sa sieste télévisuelle, arranger ses cheveux, troquer ses chaussons contre une paire de chaussures orthopédiques, remettre ses dents à leur place et traverser la rue qui la sépare de ce grand bâtiment pour me rejoindre. Malgré ses soixante-douze ans, n’ayons pas peur de le dire : j’aime Thérèse. Elle est terrible ! Si j’avais eu une grand-mère, elle lui aurait probablement ressemblé.

Nous nous sommes rencontrées il y a un peu plus d’un an. Je commençais à peine mes recherches sans avoir encore complètement déterminé quel serait le sujet de ma thèse. J’avais décidé de venir travailler à la bibliothèque pour m’imposer un maximum de sérieux, et surtout pour échapper aux psychodrames quotidiens que me faisaient subir mes colocataires. Je vivais, et vis toujours d’ailleurs, avec Pascale et Stéphanie, des amies de longue date, désespérément hétérosexuelles et qui ont pour fâcheuse habitude de tomber sur des gars qui ne sont pas parfaits. Aussi, dès que l’une découvre que son Jules a des poils d’épaule, ou que l’autre démasque le sien en flagrant délit d’œillades sur la poitrine ou les jambes d’une inconnue, notre appartement fait concurrence au mur des lamentations. Et généralement, mes oreilles ne sont pas épargnées par les échos de critique de la gente masculine, qui pour ma part, ne me concernent en rien.

Thérèse a bouleversé ma vie auditive, et ce depuis le premier jour. J’étais en pleine contemplation de vol de mouche quand elle a débarqué juste à côté de moi. Elle s’est assise bruyamment, mais comme des têtes se retournaient dans l’indignation la plus féroce, elle apitoya tout le monde dans une grimace de douleur et un petit râle qui signifiait «  Ayez donc pitié de moi qui suis si vieille car le jour où vous serez à ma place… ». Mouais… mon œil ! A peine les presque incendiaires se replongeaient dans leur chaste lecture que la bouche de mamie Thérèse se fendait dans un des sourires les plus vicieux jamais vus. Quand elle vit que je l’avais démasquée, elle me dit dans un clin d’œil :

–          Si à mon âge on ne peut pas se permettre d’être un vieux con…

–          Vous avez tout mon respect madame ! répondis-je en souriant.

Plus tard dans l’après-midi, alors que je regardais passer une très jolie jupe, fendue pratiquement jusqu’à la taille, et ce uniquement par amour pour la mode, ce fut elle qui surprit mon regard et je dus rougir (juste pour la forme) car elle me dit :

–          Je ne pense pas que vous trouviez votre inspiration dans ce début de cellulite, jeune fille, ça vous dit une tasse de thé ?

–          Il n’y a que du café dans le distributeur de boissons.

–          J’habite de l’autre côté de la rue, fut sa réponse.

J’avais beau avoir la certitude qu’il était impossible qu’elle me drague, sa proposition me surprenait quand même. Pourtant, je l’acceptai, et je ne le regrettai pas. Je fis la connaissance du personnage le plus haut en couleurs qui soit.

Depuis, quatre fois par semaine, j’attends Thérèse à 14h45, juste pour le plaisir de l’avoir avec moi pendant deux heures de travail sans la moindre productivité, puis vers 17h, elle m’accueille dans la petite maison à la porte bleue, juste en face, et nous prenons le thé en échangeant les propos les moins conventionnels qui puissent exister.

Je guette le chignon de ma septuagénaire préférée quand je remarque une démarche… intéressante. Une peau mate, peut-être métissée, des formes ni trop généreuses, ni trop effacées, une souplesse et une assurance naturelle dans l’allure, un sac d’étudiant calé nonchalamment sur la hanche : toute de lin blanc vêtue, elle a l’air d’une apparition angélique, exotique mais angélique. Presque immédiatement, j’ai l’impression qu’en moi, une machine se met en route. Elle n’est pas maquillée mais a les cheveux longs ; elle semble à la fois sportive et féminine ; elle dégage quelque chose de contradictoirement attirant mais inaccessible, quasi-sauvage. Elle reste quelques secondes figée devant les portes d’entrée de la grande salle, hypnotisée par tous ces livres, puis elle secoue la tête, comme pour se réveiller et se dirige d’un pas ferme et décidé en direction du XIXe siècle français. Apparemment, elle sait ce qu’elle cherche, et quand elle le trouve, elle vient s’asseoir à quelques tables de là où je me trouve et déballe ses affaires.

Je pourrais prendre la peine de me cacher derrière l’écran de mon ordinateur pour continuer à l’observer discrètement, mais même pas. J’en ai même oublié d’ôter mon doigt de la touche « f ». Une voix dans mon dos me fait sursauter :

–          Rolala ! C’est du propre jeune fille !!! C’est quoi ce ffffffffffoutoir ?

–          Ah… Salut Thérèse !

–          Dis, t’as pas honte de mater comme ça ! Et ton travail, tu crois qu’il va se faire tout seul ? Voyons-voir à quoi elle ressemble celle-là, dit-elle en essayant de trouver le point de fuite de mon regard. Mouais, c’est mieux que la dernière. Mais c’est quoi ça comme espèce ?

–          Une espèce en voie de disparition Thérèse, une vraie bombe ! dis-je en effaçant les 3 pages de « ffffffffff » qui ont envahi mon document Word.

Je dégage mes affaires pour que Thérèse s’installe, mais elle n’a pas l’air pressée de s’asseoir. Sa tête fait des allers-retours entre l’objet tout récent de ma fascination et moi.

–          Oui, vous feriez un mignon petit couple.

–          Thérèse, enfin ! Calmez-vous, je ne la connais pas encore…

–          Depuis quand c’est un problème ça ? Tu veux que je t’arrange le coup ?

–          Non mais ça va pas la tête ?! Posez-vous par ici et arrêtez de la regarder comme ça, vous allez nous faire repérer ! Et je n’ai pas besoin de vous pour…

–          Oh, ça va mon petit. Moi j’dis ça… j’dis rien. N’empêche que… si je peux te rendre service…

Je ne sais pas trop comment réagir entre crise de fou rire ou protestations pudiques. J’essaie de détourner son attention en lui demandant ce qu’elle a décidé de lire aujourd’hui. Elle n’a pas l’air du tout convaincue par mon changement de sujet, mais elle se lance néanmoins dans le résumé de l’œuvre d’un roumain au nom imprononçable, qui aurait écrit sur les mœurs douteuses des curés de campagne du début du XXe  siècle. Je connais sa passion pour les récits les moins orthodoxes et c’est d’ailleurs ce qui m’a tout de suite plu chez Thérèse : son mépris total des convenances, et ce, malgré son âge. Et d’après ce qu’elle ma raconté – je veux bien la croire – , il semblerait qu’elle n’ait pas attendu de gagner le statut respectable de sénior pour se permettre d’exposer librement son point de vue.

J’attends qu’elle se plonge dans sa lecture pour faire semblant de retourner à mon travail. Du coin de l’œil, je scrute la table qui a l’honneur et le privilège de recevoir une bien charmante apparition… sauf que celle-ci a disparu ! Ses affaires sont là cependant, alors j’ose supposer qu’elle se trouve quelque part dans les rayons. Je balaie la grande salle du regard sans la voir. Il faut que je la trouve. Il faut que je me lève. Pendant une seconde, je pense devoir me justifier auprès de ma voisine de bureau, mais je ne me donne même pas cette peine, d’autant que je la vois qui lève sur moi un  regard entendu. Je commence par les premières allées juste devant moi, puis je remonte jusqu’au fond de la salle, sentant s’amoindrir l’espoir à chaque détour, alors que mon excitation, elle, grandit chaque seconde un peu plus. J’ai l’impression de chasser. Mais quand enfin je tombe sur ma proie, c’est comme si le piège se refermait sur moi ! Elle est là. Elle me regarde. Je suis prise.

En flagrant délit de stupidité. Dans un pitoyable réflexe, je détourne mon regard sur les étagères poussiéreuses de ce rayon que personne ne semble avoir visité depuis plus d’un demi siècle. Je sens qu’elle m’observe, qu’elle se rapproche tout doucement, qu’elle va me parler.

–          Tu t’intéresses vraiment aux archives des périodiques économiques de 1927 ? me demande-t-elle amusée.

Sa voix est aussi chaude que le reste de sa personne, et sa proximité soudaine et inespérée attise violemment ce que la traque inter-rayonnages avait déjà réveillé dans mon bas-ventre. Le désir. Mon douloureux appétit pour ce concentré de sensualité, cette incarnation de la féminité extrême et sauvage.

–          Euh… non. En fait, je…

–          Tu me suivais.

Je suis perdue.

–          Je t’ai vue tout à l’heure. Me regarder. Je t’ai regardée aussi.

Gloups.

–          Ah.

Elle continue de s’approcher de moi, lentement, comme dans un film érotique à deux balles, sauf que ça me fait un effet bœuf ! Je n’arrive pas à savoir si elle va me sauter dessus pour me mettre en pièce, me manger toute crue, ou si simplement elle attend une explication quelconque pour mon comportement scabreux.  De près, elle est encore plus belle. Son haut immaculé laisse transparaître deux tétons particulièrement foncés et… qui pointent ?! Pourtant la clim est bien insuffisante, surtout dans cette partie déserte de la bibliothèque. J’avale ma salive avec difficulté.

–          Tu t’appelles ? me demande-t-elle à quelques centimètres à peine de mon oreille.

–          Euh… Charlie

–          Humm, ça te va bien.

–          Merci, et toi ?

–          Yaëlle.

Bien sûr… Yaëlle, what else ? Y’a elle et rien d’autre !

–          Charmant.

–          Alors Charlie, je peux faire quelque chose pour toi ?

Je pense bien à quelques petites choses, là maintenant tout de suite, mais…

–          Euh… ben c’est-à-dire que là…

–          Tiens, c’est marrant, je ne t’aurais pas crue aussi timide.

–          Je ne suis pas timide ! C’est juste que…

Elle coupe net ma tentative de justification en posant ses lèvres sur les miennes. Un peu trop fort d’abord, puis elle réajuste le tir en m’attrapant par les hanches. Et moi qui pensais avoir pour fâcheuse habitude d’être trop directe ! Je suis complètement déboussolée. Ses lèvres sont brûlantes. Humides mais brûlantes. Et son souffle me fait l’effet d’une vapeur grisante. Est-ce qu’elle jouerait avec moi ? Pour m’en assurer, et reprendre le dessus, ma langue s’aventure au-delà de la barrière de ses lèvres qu’elle a laissées entrouvertes, et mes mains viennent à leur tour se percher juste au-dessus de ses fesses, à cet endroit stratégique propre à encourager le plaisir tout en restant aux bornes de la décence. Notre étreinte cependant nous fait peu à peu perdre la moindre retenue. Mes initiatives semblent avoir provoqué une certaine perte de contrôle, et voilà qu’à tour de rôle, nous nous retrouvons plaquées d’un côté et de l’autre de l’étroite rangée d’étagères. Nos mains se cherchent, et quand elles se trouvent, c’est pour mieux nous repousser.

–          Attends, me devance-t-elle. On ne peut pas… pas comme ça, pas ici…

Ah bon ? Merde.

–          Je… je sais, je suis désolée.

–          Oh, ne t’excuse pas. J’ai eu envie de toi dès que je t’ai vue tout à l’heure, en rentrant.

Voilà pour la subtilité… Argh ! Ce regard langoureux… ce petit sourire doux-amer et cette tension involontaire qui agite ses muscles, comme autant de preuves de son excitation. Sans doute équivalente à la mienne…

J’aimerais pouvoir faire une pause, un arrêt sur image pour me demander ce qui est en train de se passer. Je ne vais pas jouer les Sainte Nitouche, je ne suis plus chaste et pure depuis longtemps, et mes errances sexuelles m’ont amené dans toutes sortes de situations toutes plus inavouables les unes que les autres. Mais jamais, même dans mes meilleurs fantasmes, on ne m’avait abordée comme ça.

–          Il vaut mieux que je m’en aille.

Pof ! Le charme est rompu. Déjà elle tourne les talons et va disparaître au coin de l’allée quand elle se retourne.

–          A demain peut-être, me dit-elle dans un clin d’œil.

–          Attends …

Mais elle est partie. Oula, j’ai besoin de m’asseoir moi ! Je me sens toute chose… Thérèse, il faut que je raconte ça à Thérèse.

 

Cette nouvelle a été publiée dans un recueil de 4 nouvelles. Vous pouvez lire la suite (avec les parties les plus croustillantes) ici :

 

15 commentaires

  1. @pucedepoesir … dans la bonne bibliothèque scientifique de base, tu n’as pas des masses de femelles. Heureusement, c’est un peu moins vrai dans les sciences molles. Mais le Seigneur nous envoyait, dans son infinie bonté, quelques erasmus coquines.

    La bibliothèque municipale, je n’ose pas en parler. Ambiance Thérèse, mais version coincée.

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