En être ou ne pas en être, là est la question !

Notre ami Patrick* disait il y a quelques années, « on m’avait dit, te pose pas trop d’questions, tu sais petit, c’est la vie qui t’répond »… Nice try. Sauf que ça ne suffit pas. Les questions arrivent un jour ou l’autre, de nous, des autres. Et la question est épineuse quand il s’agit de sexualité, ou en l’occurrence d’homosexualité.

Certain-e-s d’entre nous ont connu ces questions dès leur plus jeune âge. On a entre dix et quinze ans, on peut être super pote avec le sexe opposé sans jamais ressentir le moindre intérêt sexuel, à cet âge où les jeunes filles font des pieds et des mains pour plaire à ces messieurs, et où (désolée de remuer le couteau dans la plaie messieurs mais) ceux-là en sont encore à s’échanger des cartes ou des figurines, parler pendant des heures de jeux vidéo ou de leur prochaine sortie VTT. Et quand ils succombent aux avances, trop peu subtiles de leurs soupirantes, c’est pour vite réaliser que les filles c’est compliqué, jamais contentes et très chiantes, et qu’à leur goût, quelques baisers volés ne suffisent pas à compenser toutes ces tares. Alors on va plus loin, ou pas.

Toujours est-il qu’on se cherche, on s’exclame « Wouah ! Il a un trop beau cul ! » (sans vraiment savoir s’il sera couvert de poils ou non, ni même si on aime les poils ou pas), ou on s’insurge « Beurk, elle est trop moche et en plus elle a même pas de seins ». Et partout, ça déborde d’hormones de jeunesse. C’est envahissant les hormones de jeunesse, ça pollue l’air partout au collège, puis au lycée… Ça se développe comme un brouillard de novembre sur la Tamise : c’est lourd, oppressant… mais ça passe presque inaperçu pour les autochtones. On assiste parfois à de pseudo-scènes de drague où un « T’es bonne » veut dire « Je te trouve très à mon goût, charmante demoiselle. Aurais-tu l’obligeance de consentir à sortir avec moi ? », ou encore « Y’a une copine à moi qui te trouve trop super sex » : comprendre « Je voudrais pouvoir t’aborder de façon directe pour te faire part de l’émoi que tu suscites en moi, mais je ne l’ose pas. Voudrais-tu que nous en discutions autour d’un chocolat chaud ? »…

Là, perdu-e-s au beau milieu de ce vaudeville adolescent, on se sent cruellement différent-e. On apprécie de façon démesurée la présence d’un-e ami-e en particulier (de même sexe), qui de ce fait devient notre « meilleur-e ami-e » et avec qui on a envie de passer chaque seconde de notre vie. On vit chaque séparation comme une injustice et, bien malheureusement, on se rend compte la plupart du temps que l’intensité de cette « amitié » n’est pas forcément partagée de façon équitable. On sait dès lors qu’on en souffrira toute notre vie. On le croit du moins, à cette époque.

Puis vient le moment où l’on ressent le besoin de mettre un mot sur cette différence. Parfois même, ce sont les autres qui s’en chargent avec la délicatesse reconnue des adolescents… L’homosexualité. Que ce mot semble sale ! Quelle honte on peut en avoir ! Et quelle crainte aussi… Alors on peut essayer de le refuser. On cherche à le nier en passant les dix années suivantes à être une « vraie fille »( ou un « vrai gars »), physiquement et à agir comme tel-le : sortir avec le sexe opposé en ravalant notre indifférence, voire notre dégoût, se persuader de sa « normalité » et surtout dépenser un maximum d’énergie (et de talent théâtral) pour persuader les autres… Jusqu’à ce qu’un jour, quelqu’un-e bouleverse tout. Ou pas.

Ou, si on en a la force, on décide de l’accepter. On fait fi des convenances, des attentes, des regards, des insultes, et on assume son homosexualité. Pire ! On la brandit fièrement en faisant ravaler leur mépris aux autres. Ou encore, on l’accepte et on essaie de la faire passer inaperçue. On reste officiellement dans le placard, tout en sachant qui l’on est et ce que l’on est appelé à faire de sa vie sentimentale… si tant est que l’on soit prêt à se lancer.

Il y a bien des façons de se placer face à son homosexualité en fonction de notre caractère, mais aussi de notre vie, de notre entourage, de notre époque, de notre âge… Et je ne pense pas qu’aucune de ces positions soit critiquable. Bien au contraire.

Certain-e-s d’entre nous ne découvriront leur homosexualité que tardivement, au hasard de la vie. Peut-être se rendront-ils/elles compte qu’ils/elles se sont menti une partie de leur vie, peut-être qu’ils/elles ne trouveront jamais le courage de la vivre pleinement. Ceux-là non plus ne méritent pas la critique. Le problème étant que justement, pour beaucoup encore aujourd’hui, être homosexuel-le et vivre son homosexualité, cela demande du « courage ». On lutte chaque jour pour changer cela, et il reste encore de nombreuses batailles à mener.

Pourtant, pour certain-e-s d’entre nous, cela aura été une évidence.

Un beau jour, toutes ces questions ne se posent plus. Elles ont trouvé leur résolution dans un baiser, une caresse, le début d’une histoire. Et ce jour-là, on a décidé de ne plus se poser de question, de ne pas refuser non plus de répondre aux autres. Ce fut mon cas.

Je me rappelle qu’à cette époque, mon amie ne comprenait pas comment cela pouvait être aussi simple pour moi. Devenir lesbienne, littéralement du jour au lendemain, l’accepter et le partager aussitôt avec mon entourage, lui tenir la main dans la rue, l’embrasser selon mon envie (et non en fonction de la désertion de la moindre âme qui vive alentour…), toutes ces choses qu’elle-même avait mis un temps fou à envisager. Puis j’ai eu droit à sa version, et à de nombreuses autres depuis qui m’ont fait réaliser la « chance » que j’ai eue dans mon parcours.

Je fais probablement partie de celles qui se sont menti pendant des années, mais c’était une négation tellement profonde que la vérité m’a frappée de plein fouet, comme si je découvrais mon « potentiel » alors que cela semblait si évident autour de moi. D’ailleurs ça n’a surpris personne. Ça a déçu, oui, mes parents bien sûr. Mais la plus surprise ce fut moi. Pendant cinq secondes à peu près. Puis l’évidence. Et l’évidence l’a emporté sur tout le reste. Aucune peur, aucun a priori, aucun doute. Je me suis rendu compte par la suite que cette évidence pouvait être mal prise par ceux et celles qui ont lutté et se sont débattus pendant des années avec leur homosexualité.

Comme on me l’a fait remarquer, il y a quelques années, se balader en tenant la main de sa copine dans la rue, c’était risqué si ce n’est pour sa vie, du moins pour sa santé physique (et ça l’est encore aujourd’hui dans bien trop de lieux de par le monde et même en France). Je n’ai, jusqu’à ce jour, pas connu ça. Assumer mon homosexualité ne m’a rien coûté d’autre que de perdre une partie de l’estime parentale (et j’y survis ma foi). Je ne vais pas dire que je ne vois pas les regards dans la rue, ou les moues pincées des gens en général. Rien ne m’importe moins que leur jugement anonyme.

Aujourd’hui, tout me paraît simple. Evident. Et pourtant, je mentirais en prétendant que ça a toujours été le cas. Ces questions, aujourd’hui résolues, sont restées en suspens pendant des années. J’ai cessé de les craindre, ou plutôt d’en redouter les réponses quand elles se sont imposées toutes seules. Est-ce que je n’assumais pas ? Est-ce que ça n’était juste pas le moment ? Est-ce que je n’avais jamais rencontré la bonne personne ? Allez savoir…

Mais cela m’a permis de comprendre que nous devrions tous être libres de vivre notre sexualité comme nous l’entendons. Et pas seulement notre sexualité, mais aussi notre position face à elle (sans mauvais jeu de mot). Toutes nos expériences se ressemblent et sont très différentes comme nous sommes tous humains mais chacun à notre manière. Accepter mon homosexualité et la vivre m’a avant tout appris à être plus tolérante, non seulement envers les autres, mais aussi envers moi.

Bon, ça m’a aussi appris que j’avais une passion certaine pour les seins, et quelle découverte pour mon épanouissement personnel !

*Bruel (pour ceux et celles d’une génération trop éloignée)

39 commentaires

  1. Wow, excellent texte. « Ça se développe comme un brouillard de novembre sur la Tamise : c’est lourd, oppressant… mais ça passe presque inaperçu pour les autochtones. » C’est beau :).

    J’aime

  2. Je veux pas faire ma chieuse, mais c’est pas une algue… C’est un morceau de posidonie, et c’est une herbe. Sinon, je préfère ne pas relever l’allusion de mauvais goût concernant Brubru (qu’au passage je renie totalement).

    J’aime

  3. Ce n’est pas faire sa chieuse @courgettevolante que de nommer les choses par leur nom, @pucedepoesir devrait t’en être reconnaissante, comme je le suis.
    Quant à Patriiiiiiiick… je ne nie pas avoir assisté à un de ses concerts à la grande époque de la Bruelmania et c’était somme toute fascinant de voir ces gamines hystériques (j’étais déjà trop… mûre pour que le bellâtre crée une quelconque hystérie en moi… et déjà trop lesbienne sans doute) mais maintenant quand je repenserai à cet évènement (bon, j’y pense rarement à vrai dire), je t’imaginerai… hystérique et éructant à la face du monde ton amour pour le bellâtre sus-nommé… Belle image ma foi.

    J’aime

  4. Aaaah non, pas d’accord, il est très beau ce texte, ça me palpite autant que les posts photos alors un peu de mesure -puisque de l’avis général de courgettevolante et toi même, tu as atteint une certaine maturité- j’ose espérer en lire bien d’autres et fissa !

    J’aime

  5. Il faudrait penser aux jeunes bisexuels/les pour qui cela est encore plus compliqué. Bon, c’est moins compliqué que d’être homo je pense, mais quand même. On a l’impression que les autres nous obligent à faire un choix. Une amie l’autre jour – complètement homophobe, soi-disant à cause des opinions de ses parents – m’a dit :  » Oui, mais toi c’est différent, tu n’es pas lesbi, tu es bi.  » En fait, je lui ai avoué il y a 2 mois que j’étais bi et elle a réagit un peu bizarrement. Elle m’a dit :  » Bon, je te respecte encore, mais si un jour tu as une copine et que vous vous embrassez devant moi, je te dirai d’arrêter.  » Je lui ferai remarquer qu’être bi, c’est être à 50% hétéro et à 50% homo. Hors les bi ayant des préférences, bien entendu.

    J’aime

  6. C’est mon plus grand secret être fan de Patriiiick depuis ma plus tendre enfance …
    Sinon très joli texte, agréable à lire, où chacun à sa façon peut s’y retrouver…ce qui est la plus grande qualité, que chaque lecteur puisse y piocher, s’identifier, avoir l’impression que l’auteur a su trouver les mots qui lui manquaient. En tout cas, voilà mon sentiment en te lisant. Alors merci. Et continues à écrire ainsi que tes reportages photos.

    J’aime

  7. @hailey : Je ne pense franchement pas que ce soit « plus facile » pour les bis que pour les homos, nous avons eu une longue discussion très tard dans la nuit un jour avec @prose et @ernestine et vraiment les clichés sur les bis sont tout aussi désastreux que ceux sur les homos, entre « faire un choix », le coup du « plan à 3 », la non-visibilité des bisexuel(les) et se faire rejeter par sa propre communauté Lesbienne et Gay, rien n’est simple :s

    J’aime

  8. @Caro Oui, parfois les gens confondent bisexualité et polygamie… Bizarre. Ce n’est pas parce qu’on aime les deux sexes que l’on couche avec en même temps ou que l’on a plusieurs relations.

    J’aime

  9. @marion11 merci ! C’est très très gentil !
    @cillian je n’embête JAMAIS @G.E.S
    @Caro +1
    @hailey si dans ce texte, je parle d’homosexualité, pour moi ça englobe aussi la bisexualité (ne sachant pas vraiment moi-même si je dois m’annoncer lesbienne ou bi « ayant des préférences » comme tu dis). Je déteste « devoir » me situer sexuellement. Pour moi, je suis avec une femme, je l’aime, je vis avec elle : je suis lesbienne. Si pour une raison ou pour une autre notre couple prenait fin un jour, est-ce que que je pourrais tomber amoureuse d’un homme ? Oui, bien sûr. Je suis donc aussi, potentiellement hétéro. Mais de moi-même, et parce que mes meilleures expériences ont été avec les femmes, c’est vers elles que je m’orienterais. Alors bon…
    Est-on vraiment obligé de se définir sexuellement ?

    J’aime

  10. @pucedepoesir du moment où tu pouvais être avec une femme, tu n’es plus hétéro même si tu t’y mets avec un homme. Tu es tout simplement bi. La question à posé donc pas est ce que tu peux … mais plutôt, es- tu attiré par les hommes ?

    Puis pour ne plus reproduire ce comportement excluant et un peu ghétoïsé faut passer au mode Queer peut être.
    Ca m’épate toujours de voir comment un groupe marginalisé marginalise à son tour un autre groupe.

    J’aime

  11. Moi, j’ai eu beau découvrir mon homosexualité, je n’ai toujours pas eu mon épiphanie mamillaire. C’est grave docteur? 😉

    (très joli post, je suis entièrement d’accord: on a tous un vécu différent et aucun n’est critiquable.)

    J’aime

  12. @plt04 je suis désolée du retard de ton « épiphanie mamillaire »… et je me sens très égoïstement bénie d’avoir été si vite et si pleinement, radicalement touchée par la Grâce !!! 😉
    @paul-denton je t’en prie. C’était mon rêve : être enlumineuse. malheureusement la profession était réservée aux hommes, et aux hommes de Dieu plus précisément… ce qui aurait fatalement posé problème. J’aurais dû me travestir, me raser une partie du crâne, ouvrir mon cœur (du moins en apparences) et mes fesses à mes confrères… et renoncer définitivement à la gente féminine pour vivre recluse dans un monastère… si au moins ça avait été permis aux bonnes sœurs, le couvent ne m’aurait pas déplu !
    😀
    @cillian je sais, c’est tordu, c’est compliqué, mais si tu veux que ton commentaire arrive à sa destinataire, il vaut mieux que tu l’adresses à @miran . Et d’ailleurs, moi aussi je me pose la question.

    J’aime

  13. @cillian ne plus définir sa sexualité … puisqu’une sexualité marginalise, discrimine, exclue une autre … je dis Queer ça peut être n’importe qu’elle autre invention qui fera en sorte que des petits groupes ne soient marginalisés.

    Je sais qu’on est post queer, mais ce n’était pas bête du tout de placer le queer dans le débat social, Butler avait le courage et l’intelligence d’évoquer un sujet que parfois même pas d’accord mais il est important malgré tout.

    Voilà, suite aux derniers échanges vraiment désagréable sur yagg, je dois préciser ma particularité pour ne pas être exclue et/ou sanctionnée (ça tombe pile dans le sujet comme par hasard) … Donc je vous prie d’excuser mes fautes d’orthographes, je ne suis pas du tout française et ça ne fait qu’à peine 4 ans et quelques mois que je suis sur ce sol.

    A part ça tout va bien, j’aime vous lire et échanger avec vous sur ce blog notamment. Merci. 🙂

    J’aime

  14. @pucedepoesir je m’excuse si mes propos te semblaient pas clair … j’ai dit « mode queer » parce que tu as dit que quand tu es avec une femme tu es lesbienne, tu es attiré aussi par des hommes et tu dis suite à cela que si tu seras avec un homme donc tu seras hétéro … et puis puisque tu es attirée par les deux sexes donc forcément tu es bisexuelle … etc .. etc … Donc tout ça range les gens dans des cadres bien définit ce qu’aime cette société faire et le fait bien si bien que ça rend malade les gens 😉

    Est ce que je suis plus claire maintenant ?

    J’aime

  15. @miran , tu étais claire pour moi, ce qui ne l’est pas, c’est le terme « queer ». Je suis nulle en termes communautaires ! Et pour quelqu’un qui n’est là que depuis 4 ans, je trouve que tu t’exprimes très bien !!!

    J’aime

  16. Tres joli article ! Il y a des personnes qui ont trop souvent tendance à critiquer celles et ceux qui ne sortent pas du placard assez vite alors que nous avons tous et toutes notre propre rythme.

    Ou soit disant parce que tu as eu des parents qui ont tout de suite acceptes, forcément c était plus facile de s accepter. Malheureusement avec le tabou de la société en général ce n est pas forcément le cas. Alors certes je remercie énormément mes parents pour leur ouverture d esprit et en cela j ai eu plus de chance que d autre mais de la à dire que je me suis assumée tout de suite et sans heurt, non plus.

    Cet article remet les choses à leur place et ça fait du bien !

    J’aime

Laisser un commentaire