La pluie qui tombe ne me fait pas peur

Il pleut et nous sommes demain, un demain loin de tout mais toujours plus proche de nous.

Dehors, je sais le silence, je le devine et il m’envahit alors que tu dors encore.

Je me suis levée tôt. J’ai relancé la cheminée et ses crépitements ponctuent mes pensées, tantôt au rythme saccadé de bulles de résines, tantôt sporadiquement, comme si le feu oubliait de consumer la bûche, comme s’il la caressait seulement de ses langues ardentes.

Ici, l’air devient autre. Ici, l’atmosphère est lourde mais s’ouvre à des dimensions insoupçonnées. Ici, je suis en apesanteur. Tu es tout ce qui me retient.

Le plancher grince à peine sous mes pas. Le thé est prêt, celui que je boirai seule, dans le respect recueilli de ton sommeil bienheureux. Je me le sers, comme tous les matins, et pourtant aujourd’hui, tout est différent. Rien ne semble machinal. Tout se révèle à la fois meilleur et pire. Tu es là et tu dors.

Le liquide se déversant dans la tasse fait écho aux clapotis du toit. Je souris tendrement aux vapeurs parfumées qui en émanent et j’emporte ma précieuse infusion jusque devant le feu. Là, au creux du vieux fauteuil au cuir usé, je laisse mon regard errer dans l’âtre et mon esprit vagabonder à la rencontre de ces heures passées sous d’autres fièvres.

D’ici, je t’imagine comme je t’ai laissée, entre les complicités fleuries des draps, rêvant à ces mondes que tu éclaires involontairement de ta simple présence onirique. Les yeux dans les flammes, je caresse ta nuque d’un souffle léger, je l’embrasse dans la distance chaste de cet étage qui nous sépare. Je devine la chaleur de ton corps ensommeillé et mon désir, bien que déjà trop aiguisé pour ne pas être tentée de te rejoindre au plus vite, s’attendrit et se plie aux caprices de ces minutes de repos égoïste.

Le thé dans ma gorge m’apparaît presque sans saveur tout à coup. Son parfum n’est pas ton odeur, son goût ne saurait rivaliser avec le tien, quant à sa température, ma peau n’y est pas aussi sensible qu’aux brûlures de tes mains, de ta bouche, de tes yeux sur moi.

Un éclair me tire de mes réflexions, immédiatement suivi du grondement sourd mais violent du tonnerre. Pourtant c’est d’un autre son que mes oreilles s’émeuvent, pour qui mon corps tout entier se soulève d’un bond. Tu bouges. J’entends le frottement frénétique des draps et ta voix qui m’appelle. Mon prénom dans ta bouche encore rauque du sommeil…

J’oublie le thé et il ne me faut qu’une seconde pour escalader le grand escalier de bois. Déjà tu ne remues plus. Peut-être t’es tu déjà rendormie… Non. Tu grognes quelque chose d’incompréhensible en rabattant la couette de mon côté du lit et me tournes le dos. Tu m’attends. Je ne me fais pas prier. J’abandonne mes chaussons aux pieds du lit et me glisse tout contre ton corps chaud. Comme je passe mon bras autour de ta taille, tu grognes à nouveau tout en te lovant un peu plus profondément dans mes bras.

Mon cœur bat dans mes tempes alors que je sens le rythme de ta respiration ralentir progressivement. De mes lèvres, je viens chercher ta nuque pour accompagner ton sommeil d’un baiser. J’attends un nouveau grognement, mais non. Tu gémis langoureusement. Je devine un sourire.

La minute est parfaite.

Les heures à suivre aussi. Et la pluie…

16 commentaires

  1. Quand on est amoureux, même l’orage devient poète qui pleure et grogne de joie ! 🙂
    Comme Alex, je dirais que c’est superbement écrit avec beaucoup de poésie et de rêverie ! 🙂

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