Complot

Avant même de franchir le pas de la porte, elle sentait bien que quelque chose clochait. De l’autre côté, pas un bruit. Un calme inquiétant. Ses sourcils se froncèrent dès que ses yeux eurent confirmé ses craintes : à l’intérieur, personne. Les lumières éteintes dissimulaient l’absence angoissante des enfants qui, d’habitude, se précipitaient pour l’accueillir en l’abreuvant de leurs péripéties quotidiennes.

Ce ne fut qu’en se tournant vers l’interrupteur qu’elle remarqua le post-it : « N’allumez pas et avancez vers la lumière ».

Curieuse et déconcertée, elle balaya la pièce du regard. Dans le couloir, elle distinguait à peine les fluctuations d’une lueur pâle. Son cœur accéléra et intensifia ses battements et comme son sang cognait plus fort à ses oreilles, elle proféra d’une voix qu’elle voulait menaçante : « Les enfants ? Chérie ? Si c’est une blague, ça ne m’amuse pas du tout. Sortez de là. La journée a été assez pourrie comme ça… »

Ne recevant que l’écho du silence, elle prit soin de déposer ses affaires avant de s’engouffrer presque à l’aveugle entre les murs blancs du couloir. Elle réalisa trop brutalement que son chez elle, d’ordinaire si rassurant, lui semblait bien cruel tout à coup. A chaque nouveau pas, elle se morigénait de se montrer si sensible à ces pitreries.

C’était encore probablement une nouvelle invention des enfants… mais pourquoi diable Emilie, sa femme, rentrait-elle toujours dans leurs jeux ? Elle savait bien que ça la tourmenterait vraiment. Elle ne se priverait pas de le lui rappeler dès qu’elles se retrouveraient dans leur trop brève intimité nocturne.

Déjà, elle regrettait cette future chamaillerie. A cette heure tardive, elle n’aspirait qu’au repos dûment mérité de ses bras aimants et non à cette nouvelle manifestation de son immaturité. Leur différence d’âge finirait peut-être par se révéler problématique…

Au fond du couloir, la porte de leur chambre était ouverte et laissait échapper cette lumière irrégulière. Les portes des enfants, elles, étaient anormalement fermées, toutes les trois. Habituellement, elle devait se battre avec eux pour qu’ils daignent penser à les fermer.

Son cœur s’accéléra encore, persuadée à présent qu’ils allaient surgir à son passage en poussant des cris effrayants, juste pour le plaisir de la faire sursauter et hurler de peur. Elle avait beau s’y préparer, elle savait qu’elle n’y couperait pas.

Mais rien ne se produisit.

Il lui fallut arriver jusqu’au seuil de la chambre pour prendre conscience de cette douce odeur d’ambre qui exhalait de la pièce et qui, elle le réalisait alors, lui chatouillait les narines depuis son entrée. Elle remarqua alors instantanément, à la lueur des bougies frémissantes, qu’un corps reposait sur le lit. Elle n’en percevait que les jambes nues, l’encadrement de la porte lui dissimulant le reste.

Avant de chercher à découvrir la suite, elle marqua une pause. Elle ne comprenait pas. Que se passait-il ? Où étaient les enfants ? Pourquoi ? Quel jour … ?

« Viens », murmura une voix chaude à l’intérieur.

En une fraction de seconde, elle sentit fondre aussi bien sa fatigue que ses doutes et ses craintes. Quand enfin elle pénétra dans la chambre, les yeux rivés sur la femme qui l’attendait sur le lit, elle fut submergée par une vague de chaleur, de désir et d’émotion surtout. Son regard parcourut avec gourmandise les formes alanguies qui déjà affolaient chacun de ses sens.

Elle sentit, presque malgré elle, un sourire carnassier se dessiner sur ses lèvres, alors que l’objet de son attention la fixait presque innocemment, les yeux débordant de cet élan quasi indicible qui les poussait l’une vers l’autre, inéluctablement.

Comment parvenait-elle encore à la surprendre après toutes ces années ? Comment pouvait-elle toujours l’intimider et l’enflammer à la fois ?

Emue, elle en oubliait presque de respirer. Déjà, elle sentait son corps réagir, quasi violemment, à cet appétit charnel qui la tiraillait. Elle avait pleinement conscience de chaque sensation qui bouleversait son anatomie : la pointe dure de ses seins qui repoussait le coton de sa chemise, les frissons subtils qui ondulaient sa peau, hérissaient ses poils, chatouillaient sa nuque, affaiblissaient ses jambes, et surtout… cette onde torride, voluptueuse, humide, qui irradiait soudain entre ses cuisses.

Comme elle restait immobile, Emilie précisa : « Ne t’inquiète pas, les enfants sont chez…

–          Je ne suis pas du tout inquiète ! l’interrompit-elle.

–          Fatiguée ?

–          Plus du tout.

–          Enervée ?

–          Excitée.

–          Intéressant… susurra Emilie. Tu viens alors ? J’ai froid. »

En une seconde, elle se débarrassa de ses chaussures et fondit sur le corps offert de son amante. Déjà, leurs bouches se retrouvaient et de leurs langues amies, elles entamaient un duel sans vainqueur ni vaincu.

Emilie entreprit de déboutonner sa chemise, les yeux brillant d’une étincelle de gourmandise à assouvir. Au moment où leurs peaux entrèrent pleinement en contact, elle cessa de s’émerveiller, oubliant de chercher à comprendre, à savoir, à décider.

A cet instant précis, elles n’étaient plus qu’émotion pure. Instinct. Désir. Et chaque caresse promettait d’être renouvelée, plus intensément encore, jusqu’à ce que leurs corps exultent tour à tour, dans la complicité aigüe de leurs souffles, leurs peaux, leurs consciences.

Plus tard. Plus tard, elle la remercierait de cette délicieuse surprise. Plus tard elle lui dirait à quel point elle l’aime. Plus tard, elle se soucierait du pourquoi et du comment.

Dans l’immédiat, elle se contenterait d’être femme, source et fruit de plaisir.

8 commentaires

  1. Comme d’habitude tu nous transporte dans ton univers, on attend, on s’étonne, on est émerveillé et puis tu arrives à nous surprendre, encore.
    C’est rempli de tendresse et de chaleur… Merci pour ce joli cadeau 😉

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  2. Bonjour,

    Il se trouve que je vais sur ton blog depuis maintenant un bon bout de temps (je crois que ça se compte peut être même en années en fait… je me souviens que c’était à l’occasion d’une histoire que tu avais publiée se déroulant à Rolland-Garros) mais je ne t’ai jamais laissée le moindre commentaire, par pure fainéantise je l’avoue. Sur le net, il est tellement plus simple de « consommer » que de réellement s’impliquer. Bref, je m’étais toujours dit qu’il faudrait que je répare cet oubli et voilà, c’est aujourd’hui chose faite.

    Je tenais donc en premier lieu à te remercier pour tous les bons moments que j’ai passé à te lire, que ce soit tes histoires érotico-amoureuses ou tes articles toujours pleins d’humour et de réflexion (et avec souvent de jolies poitrines affichées… obsédée des seins moi aussi ? non, tu crois …? :p). Tu as en tout cas une très jolie plume et j’aime beaucoup ton style d’écriture plein de fraîcheur.

    Concernant cette nouvelle « historiette » proposée, j’ai particulièrement aimé me mettre à la place de la narratrice qui, rentrant du boulot, n’aspire qu’à un peu de repos et s’agace en premier lieu de cette surprise dont elle se passerait bien. Mais, quand on comprend en même temps qu’elle ce qu’il en est vraiment, oubliées les récriminations précédentes, seul le corps nu offert de sa bien-aimée devient l’objet de son obsession (et de la nôtre aussi…).

    Un texte sans prétention mais qui confirme ta capacité à créer une atmosphère sensuelle en seulement quelques lignes. Dans le même genre, j’ai énormément aimé aussi récemment ton histoire se déroulant dans un cinéma, excitation garantie !

    Encore merci et à bientôt !

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