Rome en solo (chapitre 3)

Chapitre 1

Chapitre 2


Chapitre 3

 

Les draps avaient libéré leurs corps depuis quelques minutes, ou une éternité. Gabrielle sentait son pouls se confondre avec celui de son amante. Elle ne se lassait pas de caresser cette peau veloutée, de se laisser envahir par le parfum si singulier de Luce. Elles ne parlaient pas, mais leurs corps s’harmonisaient si parfaitement que la jeune femme aurait juré entendre un chant divin. Elle ne pouvait détacher son regard des yeux de la belle italienne. Le désir qu’elle y lisait, plus puissant et plus doux à chaque seconde, attisait son plaisir de manière démentielle.

Elles étaient nues. Luce, après l’avoir tendrement explorée du bout de ses doigts, avait ondulé de son corps félin pour la surplomber. Sans quitter sa proie du regard, elle avait lentement ployé jusqu’à ce que les pointes dures et foncées de ses seins vinssent effleurer ceux, plus clairs, de Gabrielle. A ce contact, la jeune femme crut jouir instantanément. Mais les yeux enfiévrés de l’italienne l’en empêchèrent. Ils revendiquaient des voluptés bien plus extravagantes !

Quand Luce entreprit de descendre le long du corps de Gabrielle en maintenant la caresse de ses tétons, la peau de la jeune femme s’enflamma. Elle se délectait des sillons de plaisirs que traçaient ses seins sur son corps offert. A leur passage, son estomac se contracta, puis son bas-ventre, son bassin se cambra et quand l’italienne atteignit ses cuisses, elle amorça une remontée. Cette fois, elle se décala subtilement. Gabrielle ne sentit plus qu’un seul sillon gravir l’intérieur de sa cuisse gauche pour s’immiscer entre ses lèvres humides. Là, Luce ralentit sensiblement jusqu’à ce que son téton rencontre le clitoris hardi et gonflé de la française. Le gémissement qui ne manqua pas d’échapper à Gabrielle fit plier l’italienne. Son sein s’écrasa de tout son poids contre le sexe trempé et vibrant. Leurs corps entiers subirent les répercussions palpitantes de ce contact. Elles gémirent de concert cette fois.

Quand Gabrielle recroisa le regard de Luce, elle sut que quelque chose avait changé. « Tu as eu assez de préliminaires comme ça ? » demanda l’italienne dans un sourire carnassier. Pour toute réponse, la jeune femme posa sa main sur sa nuque, l’incitant à remonter au plus vite. La belle brune obéit sans toutefois se précipiter. Elle maintint le contact de son téton le long du ventre puis sur la poitrine de la française. Sauf que cette fois, le contact était humide. Arrivée à la hauteur du visage de son amante, Luce approcha dangereusement ses lèvres. Gabrielle se dit qu’elle ne survivrait sans doute pas à ce baiser. Elle en avait tellement envie, là, sur le point de jouir de la simple réunion de leur corps et de ce regard si noir ! Mais la belle brune lécha délicatement le bout de son nez avant de poursuivre son ascension.

Gabrielle voulut protester, la retenir, lui imposer ce baiser. Cependant, avant qu’elle n’ait eu le temps d’émettre le moindre son, le sein lourd de son amante envahit sa bouche. Surprise par cette sensation bouleversante de volupté et par sa propre odeur, son propre goût, la jeune femme referma fermement ses lèvres sur la pointe de chair tentatrice qui la narguait. Le roucoulement de Luce s’accompagna du mouvement suave de ses hanches qui vinrent plaquer sa cuisse contre le sexe impétueux de Gabrielle. La jeune femme s’arqua sous le coup du plaisir. En une fraction de seconde, son corps entra en ébullition. Luce lui avait saisi la tête pour la plaquer, plus fort encore, contre son sein. L’italienne se répandait, elle aussi, contre la hanche de la jeune femme. Leurs corps suaient un plaisir imminent, un plaisir vandale, qui les dépossédait de leur équilibre, de leur libre-arbitre.

Gabrielle était subjuguée par la beauté de cette femme qui la chevauchait ; cette image la poursuivrait toute sa vie, elle en fut consciente, le temps d’un éclair. A la tension du corps de son amante, elle sut que Luce était sur le point de jouir, sans retenue, sans ménagement, sur elle. Alors elle ne retint plus rien. Leurs cris les libérèrent dans un orgasme si violent qu’elle en ferma les yeux. Son corps se disloqua sous l’effet du plaisir que cette étreinte réinventait. Jamais elle n’avait ressenti pareille explosion des sens. Des vagues de volupté soulevaient encore son corps, semblaient ne jamais vouloir s’arrêter. Le souffle court, Gabrielle rouvrit les yeux.

C’est en voyant le plafond blanc de la chambre qu’elle réalisa que Luce n’était plus sur elle. Elle ne l’avait même pas sentie se glisser à ses côtés. Impatiente de retrouver le contact de sa peau, la jeune femme envoya sa main en travers du lit. Le froid soyeux des draps la déconcerta. Ses yeux confirmèrent ce que son esprit ne voulait pas envisager. Luce n’était pas là.

Gabrielle se redressa sur le lit. Au loin, des chants religieux résonnaient dans le matin ensoleillé. Les draps n’avaient été défaits que de son côté. Luce n’avait jamais passé la nuit avec elle. Pourtant, les bourdonnements de son sexe engorgé ainsi que sa respiration toujours irrégulière, attestaient de cet orgasme dévastateur. Un instant, la jeune femme grogna de déconvenue. Un rêve érotique. Cela n’avait été qu’un rêve érotique ! Mais incontestablement le plus diaboliquement cruel de toute sa vie.

Gabrielle sourit enfin. Puis elle rit franchement avant de replonger dans son oreiller. D’une main elle remonta la couette sur son corps dépité, et de l’autre, elle vint recouvrir son sexe encore frémissant. Il n’en fallut pas plus pour que son cerveau lui restituât l’image sauvage d’une Luce luisante et tendue la surplombant, le visage extatique, mystifié par le désir. Comment pourrait-elle se défaire de cette vision ? Elle n’était pas certaine de le vouloir, bien au contraire. Malgré elle, ses doigts caressèrent les chairs sensibles de son sexe. « Luce… » : sa voix n’était qu’exigence, caprice. Elle ne se reconnaissait même pas. Mais dans la suavité de cette matinée de Noël non-conventionnelle, elle s’en moquait. Son cœur s’emballa cependant lorsqu’elle entendit frapper trois coups discrets à la porte, accompagnés d’un « Gabrielle ? » reconnaissable entre mille.

*

D’un bond, elle sortit du lit. En quelques enjambées, elle était devant la porte, mais elle fut coupée dans son élan par son reflet dans le miroir : ses cheveux étaient ébouriffés et elle avait encore la trace de l’oreiller sur son visage. « Oui ? », demanda-t-elle pour gagner du temps. De ses doigts, elle tenta maladroitement de défroisser sa peau et ses cheveux, mais c’était peine perdue. Dehors, Luce répondit :

– J’espère ne pas vous réveiller… Je me demandais si…

– Attendez, entrez, proposa la jeune femme, résignée à ne pas laisser mourir la belle italienne de froid par simple coquetterie.

– Merci, répondit cette dernière à la porte qui s’ouvrait.

Quand Luce posa les yeux sur Gabrielle, elle se sentit faiblir. La française venait visiblement de se lever et son hôtesse la trouva dangereusement attirante : ses traits semblaient encore tout engourdis de sommeil et ses cheveux indisciplinés s’éparpillaient, asymétriques, autour de cette bouille adorable. Un long et large T-shirt blanc, déformé par les années, lui tombait à mi-cuisse et recouvrait presque intégralement un caleçon bleu-marine.

– Ne me dites pas que je vous réveille, s’inquiéta l’italienne en essayant de ne pas laisser ses yeux traîner sur la transparence légère du coton blanc.

– Non, non… Je… Lézardais. Quelle heure est-il ?

– Bientôt midi.

Les yeux de Gabrielle s’écarquillèrent si fort que son interlocutrice pouffa de rire. La française piqua un fard et demanda à la brune de lui accorder quelques minutes. « Faites-vous un café, si ça vous tente », lui dit-elle avant de disparaître précipitamment dans la salle de bain. Elle se retrouva face à son reflet interdit. Comme ses doigts parcouraient machinalement la zébrure résiduelle de l’oreiller sur sa joue, elle sentit son odeur intime qui les imprégnait encore. Elle réprima un fou rire et s’empressa de se laver les mains et le visage à grandes eaux. Après s’être brossé les dents, elle se faufila aussi rapidement que possible de la salle de bain à la chambre. Elle entendait l’italienne s’affairer à la cuisine. En se changeant, Gabrielle s’interrogeait. Que lui valait cette visite matinale ? Comment allait-elle pouvoir se trouver face à elle sans se laisser envahir par le souvenir de son visage en extase ? Comment réprimer ce désir qui ne faisait que croître entre elles ? Et surtout, était-il nécessaire de le réprimer ?

Il ne lui fallut que quelques secondes pour s’habiller. Avant de rejoindre l’italienne, elle prit une profonde inspiration.

Luce déposa une seconde tasse fumante sur la petite table qu’elle avait dressée en l’attendant. Dans une assiette, quelques tranches de pain grillé répandaient une odeur croustillante dans le séjour. L’italienne se figea une seconde à l’arrivée de Gabrielle. La jeune femme portait une vieille paire de jeans délavée, déchirée au niveau des genoux et des cuisses et retroussée aux chevilles. Une chemise blanche, ample et diaphane, laissait percevoir un marcel pour seul sous-vêtement.

– Ça sent diablement bon, annonça Gabrielle, consciente du voile de désir qui enflammait le regard de la brune.

– J’ai pensé que peut-être… vous auriez faim, répondit l’italienne.
Elles s’assirent l’une en face de l’autre et Gabrielle remercia son hôtesse.

– Je vais finir par ne plus pouvoir me passer de vous… », ajouta-t-elle innocemment.

Luce accrocha son regard à celui de la jeune femme, muette. Nerveusement, elle fit tourner sa tasse entre ses mains. La française attrapa une tranche de pain. Pendant de longues et silencieuses secondes, elle couvrit sa tartine de beurre et de confiture. Avant de croquer dedans, elle jeta un œil attentif à son hôtesse qui ne perdait pas une miette de ses gestes. Souriant de toutes ses dents, elle tendit la tartine à la belle italienne. Celle-ci s’apprêtait à refuser quand Gabrielle lui coupa la parole : « Mangez, vous risquez d’en avoir besoin ! ».

Sans chercher à comprendre le sous-entendu, Luce accepta le pain luisant tandis que la jeune femme faisait crisser son couteau sur une nouvelle tranche. Elles croquèrent en même temps dans leur tartine, sans se lâcher du regard. Quand Luce porta sa tasse de café à la bouche, elle eut un petit haussement de sourcil et ses yeux se levèrent au ciel avant de replonger dans ceux de la française. Gabrielle reconnaissait cette marque de béatitude chez l’italienne. C’était sous ces traits que la jeune femme avait rêvé l’extase sensuelle de la belle brune. Son estomac se noua et, instinctivement, elle resserra ses cuisses. Incapable de se taire plus longtemps, elle racla sa gorge avant de briser le silence à nouveau :

– Vous ne m’avez pas dit ce que vous faites là, un matin de Noël. Non que je m’en plaigne, mais comment se fait-il que vous ne soyez pas en famille ?

La brune sembla presque soulagée de la trivialité de la question.

– Chez les D’Alba, nous célébrons Noël le 24. Généralement, le 25 est consacré aux conjoints. Quand mon frère… puis moi… nous sommes mariés, ça a été la meilleure solution pour satisfaire tout le monde.

Gabrielle s’étrangla avec sa tartine. Mariée ?

– Oui, continua Luce, j’étais mariée, Gabrielle. Et oui, avec un homme.

L’italienne paraissait s’amuser de l’air incrédule de la jeune femme. Comme celle-ci n’osait toujours pas poser de question, la brune poursuivit.

– J’ai rencontré Pascal à l’université. Il était français. Ça m’a tout de suite plu. J’ai toujours eu un faible pour… vos compatriotes. Il m’a séduite à coup de poésie, de cuisine au beurre et de voyages sur vos terres. Il était un peu plus âgé. Moi, j’étais jeune et… pure. Il ne nous a fallu que quelques mois pour envisager un mariage en grande pompe. Mes parents étaient les plus enthousiastes. J’avais toujours été une sauvage, très peu intéressée par les histoires de cœur. Peut-être se doutaient-ils que…

Le regard de l’italienne se perdit une seconde dans le fond de sa tasse. Gabrielle était suspendue à ses lèvres.

– Bref, nous nous sommes mariés. Notre mariage a duré jusqu’à la fin de ses études. Quand il a été temps pour lui de faire son entrée dans le marché du travail, il a formulé le souhait de retourner en France. Une part de moi ne demandait qu’à le suivre, mais cela aurait signifié perdre mes deux dernières années d’études. Les grandes écoles françaises ne me proposaient pas d’équivalence. Il est alors parti seul. Visiblement, cela ne lui posait pas de grand cas de conscience. J’ai passé l’année la plus pénible de ma vie. D’abord, parce qu’il me manquait. Cela faisait plus de trois ans que nous vivions ensemble et que nous partagions tout. Là, nous devions nous contenter de coups de fils, de quelques week-ends volés occasionnellement, de projets de vacances que nous n’arrivions jamais à prendre simultanément. Mais ce qui m’a le plus pesé, c’est de constater que le manque n’était pas aussi réciproque que je l’aurais voulu.

Luce avait durci sa voix. Elle plongea son regard dans celui de Gabrielle avant d’enchaîner :

– Aimer quelqu’un, au-delà de l’emportement, de la passion, c’est quelque chose de très égoïste. On a autant d’attentes que d’attentions. Et quand on s’offre pleinement, on n’en attend pas moins de l’autre. Je ne sais pas aimer autrement. Je veux tout donner et je veux tout. Pascal n’a jamais compris cela.

Gabrielle acquiesça. Le sérieux de l’italienne l’invitait au silence. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de jalouser ce français imbécile qui n’avait pas su l’aimer comme il se devait. Elle résista à l’envie de prendre la main que Luce venait de reposer calmement devant elle. Ses derniers mots résonnaient en Gabrielle comme un avertissement. Serait-elle à la hauteur, elle ? La française mesura soudain l’ampleur que prenait tout à coup ce flirt romain. Mais était-ce vraiment un flirt ? Et si l’italienne était hétéro, finalement ? Elle pouvait n’être qu’une sympathisante non pratiquante ayant entendu parlé d’OverTheRainbow par hasard… Les questions se bousculaient dans sa tête mais elle se contenta d’attendre que son hôtesse continuât.

– A la fin de cette première année de distance, j’étais complètement perdue. Notre couple n’en était plus un. J’étais presque sûre que Pascal voyait d’autres femmes. Je n’arrivais même pas à être jalouse tellement j’étais déçue. Mes amies m’encouragèrent à sortir, à voir d’autres hommes, moi aussi. Je n’en avais aucune envie. Pendant l’année suivante, j’étais déprimée. Nos rapports, avec Pascal, se limitaient à quelques échanges téléphoniques brefs. Lorsqu’il annulait nos week-ends, je ne me battais plus. Un jour, j’ai pris l’avion et l’ai rejoint sur un coup de tête. Quand il m’a vue, il a compris. Nous avons décidé de nous séparer aussi intelligemment que possible. La distance avait déjà fait le plus gros du travail de deuil.

Là, Luce marqua une pause. Elle était visiblement émue et Gabrielle posa sa main sur la sienne. Ses doigts caressèrent avec légèreté le dos de la main abandonnée. L’italienne sourit et retourna sa main pour entrelacer leurs doigts.

– Mes parents étaient furieux. Moi, j’étais soulagée, poursuivit-elle. Le soir où mon divorce a été prononcé, nous sommes sortis en bande, avec des amis. Nous avons rejoint des amis d’amis. C’est là que j’ai rencontré Flavia.

Instinctivement, Gabrielle retira sa main. Sans rien dire, elle croisa les bras. Cette Flavia l’énervait déjà.

– Flavia était fraîche et très charismatique. Les hommes et les femmes semblaient rester collés à elle comme des mouches sur une pomme au caramel. Je n’ai été qu’une mouche parmi tant d’autres, soupira l’italienne, mais cette nuit-là a véritablement changé ma vie.

Gabrielle respira profondément. Elle ne savait pas trop quoi faire des aveux de l’italienne, mais elle était rassurée : elle aimait les femmes, du moins ponctuellement. Luce l’observait avec amusement.

– Je ne sais pas pourquoi je vous ai raconté tout ça, dit-elle soudain.

– Sans doute pour ne pas que je reste bloquée sur l’idée peu encourageante d’une Luce hétéro, répondit Gabrielle.

La jeune femme se mordit la lèvre. Son intervention manquait vraiment de subtilité. Il ne fallut pas trois secondes à l’italienne pour rebondir dessus :

– Peu encourageante, hein… Dois-je comprendre que me savoir officiellement lesbienne vous encourage à… vous jeter à l’eau ?

Gabrielle hésita. Devait-elle répondre franchement ? Elle décida qu’il n’était plus l’heure d’emprunter des détours inutiles.

– Je dirais plutôt que cela m’encourage à entrer dans la lumière…

– Comme un insecte fou ?

Luce avait répondu du tac au tac. Gabrielle sourit. Les paroles de la chanson de Patricia Kaas ressurgirent dans sa mémoire. L’italienne avait-elle saisit le jeu de mot ? Probablement. Rien ne lui échappait. La jeune femme était à la fois fascinée et effrayée. Il ne s’agissait pas d’un flirt. Il n’en avait peut-être même jamais été question. Le regard de Luce était bien trop grave. La brune, confiante, reposa une main ouverte devant la blonde. Ses yeux sombres venaient faire danser le regard clair de la française. Une invitation était lancée.

Gabrielle décroisa les bras et avança lentement sa main au-dessus de la table.

– Quelle est la suite ? », demanda la française dans un souffle.

– Oh la suite vous plairait sans doute…

Gabrielle effleura du bout d’un doigt la paume offerte. Luce entreprit alors de chanter dans des graves qui la firent frissonner : « être là de passage, sans avoir rendez-vous ». Les doigts de l’italienne vinrent chercher les siens. « Avoir tous les courages… de me donner à vous ». Leurs mains s’entrelacèrent à nouveau, mais cette fois, la fièvre les scellait dans une étreinte sans équivoque. « Et vous laisser venir… comme un amant magique ». D’un même geste, leurs autres mains rejoignirent les premières. « Et vous ensevelir… sous mon cri de musique… ». Gabrielle tremblait. Cette voix… Cette voix qui ne chantait que pour elle cette fois. Cette voix qui promettait tellement plus…

La jeune femme se noya dans le noir étincelant des yeux de l’italienne. « N’arrêtez pas de chanter », supplia-t-elle. Mais elle avait beau l’implorer du regard, Luce demeurait muette. La belle brune porta le bout des doigts de Gabrielle à sa bouche. Elle ne ferma pas les yeux quand elle les embrassa presque timidement. La jeune femme, penchée sur la table, frémit de plus belle au contact de ces lèvres pulpeuses sur ses phalanges. Elle retint sa respiration. Des pieuvres s’agitaient dans son ventre. L’italienne baissa son regard sur les doigts tremblants de la blonde. Ses mains plaquèrent celles de Gabrielle contre ses joues. Luce ferma les yeux quand la jeune femme commença à la caresser de ses pouces.

– Gabrielle, souffla Luce d’une voix rauque, embrasse-moi s’il te plait.

Quelque chose explosa dans la cage thoracique de la française. Elle n’eut même pas conscience de s’être levée, pourtant, elle ressentit avec fulgurance chaque sensation de ce qui suivit. D’un pas, elle s’approcha de l’italienne, ses mains toujours collées à son visage. Comme Luce éloigna sa chaise de la table, Gabrielle vint tout naturellement s’asseoir sur ses genoux. Le parfum entêtant de ses cheveux envahissait sa narine. Elle glissa ses mains dans la masse brune avant d’offrir sa bouche aux lèvres impatientes de Luce. Les bras de celle-ci l’étreignirent alors qu’elles se goûtaient enfin.

Si Gabrielle avait espéré et redouté ce moment, elle était loin d’imaginer que qui que ce fût puisse provoquer de telles choses en elle. Luce l’avait allumée, dans tous les sens du terme. Cette femme la chavirait. Elle semblait être l’origine et la faim du moindre désir. Ce baiser la rendait si accessible que Gabrielle en eut le vertige.

De son côté, Luce était surprise. Depuis deux jours, elle n’avait été que trop consciente de cette attirance quasi débilitante qui la poussait vers la française. Pendant une minute, elle avait même formulé l’idée que ces « maudits français » ne la laisseraient jamais de marbre, décidément. Mais depuis, Gabrielle l’avait émue. Elle l’avait touchée dans son émerveillement continuel, dans sa sensibilité aux belles choses, dans la simplicité avec laquelle elle avait intégré sa famille, dans sa malléabilité, dans son incapacité à cacher son attirance pour elle. Luce s’était sentie irrémédiablement charmée. Et la jeune femme, dans chacune de ses provocations, semblait s’étonner de cette attraction. L’italienne, en refermant les bras sur elle, s’était laissée envahir par une plénitude sans restriction.

Leurs lèvres jointes, leurs langues se rencontrant, elles connurent alors une forme d’apaisement, une satisfaction mutuelle qui se traduisit par de petits gémissements d’acquiescement. Quand le baiser s’intensifia, cet apaisement vola en éclat. Elles devinrent effervescence, éruption, frénésie. Gabrielle se releva pour se mettre à califourchon sur l’italienne qui attira ses fesses tout contre elle de ses mains puissantes. De ses doigts, Luce releva le coton léger du marcel sous la chemise de la jeune femme. Quand sa main se posa sur la peau nue du ventre de la française, Luce la vit se cambrer dans ses bras. Elle posa alors ses lèvres dans le décolleté de Gabrielle qui commençait déjà à en défaire les boutons. La chemise s’ouvrit sur le tissu tendu du marcel qui laissait percevoir les pointes turgescentes de ses seins. Incapable de résister, Luce les embrassa à travers le tissu. Gabrielle gémit de plus belle à ce contact quasi douloureux. Elle était désormais en fusion. Son sexe ruisselait de nouveau, mais cette fois, elle était consciente, plus éveillée qu’elle ne l’avait jamais été ! C’était bien les mains de Luce qui la touchaient, les lèvres de Luce qui la pressaient, les yeux de Luce qui la transperçaient. Il n’en fallut pas plus à son corps pour se retrouver au bord d’un abîme de folie et de délices.

– Luce…

Sa voix sonna aux oreilles de l’italienne comme un soupir de vulnérabilité. La belle brune résista tant bien que mal à son envie de la déshabiller complètement. D’une insondable tendresse, elle regarda Gabrielle en disant, d’une voix qu’elle voulait affirmée :

– J’espère que tu sais à quel point tu es désirable…

Comme la blonde reprenait peu à peu ses esprits, Luce poursuivit, l’enlaçant de plus belle :

– Si tu ne fais rien pour m’arrêter, j’ai bien peur de ne pas pouvoir te résister plus longtemps…

– Je n’ai absolument aucune intention de t’arrêter, grogna la française. De toute façon, moi je ne peux absolument pas TE résister.

– Ah ? Parce que tu as essayé ?

– Même pas en rêve !

Devant le sourire énigmatique de Gabrielle, Luce fondit encore un peu plus. Sa main se glissa dans les cheveux en bataille de la blonde et se referma dans ses mèches claires. Pendant une seconde, son regard se brouilla et elle perdit son sourire en marmonnant quelques paroles en italien. Inquiète, la française haussa un sourcil interrogateur.

– C’est vrai qu’ils sont doux, traduisit Luce, bougonne.

La jeune femme ne put retenir un éclat de rire.

– J’ai adoré vous sentir si possessive à mon égard, mademoiselle D’Alba, vous êtes trop mignonne ! Comment cette pauvre fille aurait pu soutenir la comparaison ?!

Luce sourit devant l’hilarité de la française, mais très vite son visage redevint grave.

– Seigneur, ce que tu es belle quand tu ris…

A ces mots, Gabrielle retrouva tout son sérieux. Elle plongea ses yeux dans le regard de braise de l’italienne. Déjà, leurs lèvres se retrouvaient, leurs langues se mêlaient, leurs corps se perdaient dans une étreinte qui les laissa hors d’haleine.

Gabrielle était étourdie. Embrasser cette femme, c’était jongler avec des balles de feu. Elle s’y brûlait avec détermination. Luce la faisait vibrer. Littéralement. Il fallut trois salves vrombissantes avant que l’italienne ne demande : « Ce sont tes fesses qui vibrent ? ».

Confuse et hébétée, Gabrielle récupéra vivement son téléphone dans sa poche arrière. Elle s’apprêtait à le mettre en mode avion lorsqu’elle remarqua les quatre lettres qui se dessinaient sur l’écran lumineux : « Elsa ».

 

Chapitre 4

9 commentaires

  1. Tellement heureuse de relire ces magnifiques nouvelles pleine de poésie, douceur, beauté, et… Merci pour ça….
    P.S: La photo… Argh ! Elle est parfaite… Bravo pour ce magnifique cliché.

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  2. Merci @Soare ! J’hésitais à poursuivre cette nouvelle (ou du moins sa publication) devant l’absence de réaction… Mais peut-être que je continuerai… Avant de disparaître définitivement.
    NB : La photo est presque aussi réussie que le modèle… 😉

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  3. Ce n’est pas parce que il n’y a pas de réaction que vos fans lisent pas vos écrits… Ce serait réellement dommage d’arrêter en si bon chemin une histoire, qui plus est, est écrit avec une superbe plume et très bien illustrée.
    Alors j’espère pouvoir être l’une des privilégiées à pouvoir lire encore ces pépites… Si rares de nos jours.
    Pourquoi disparaître ? Si le plaisir d’écrire est véritable, ce serait une TRAGÉDIE de ne pas pouvoir l’exploiter et l’exprimer sous toutes ses formes, ici… ou ailleurs.
    P.S : Certes, même si… Parfois, c’est l’artiste qui modèle le sujet pour fantasmer ses désirs…

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  4. Le plaisir d’écrire est véritable, @Soare , mais le temps manque et le média s’éteint… Je terminerai cette nouvelle… ou du moins, je proposerai une fin… mais je ne pense pas avoir le courage ni les moyens techniques d’exporter ce blog ou de recommencer ailleurs. Qui sait, je me mettrai peut-être sérieusement à un format papier… Ou je peux peut-être envisager un mailing pour les irréductibles…
    Pour celles et ceux que ça intéresse : pucedepoesir@gmail.com 😉

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  5. Magnifique, c’est cruel de se dire que tout ça va disparaître… Je suis hyper exigeante dans mes lectures (classiques ou un peu plus… »débauchées » dirons-nous hihi) et j’avais enfin trouvé des textes qui me comblent : une histoire de fond intrigante et attirante avec des personnages attachants, et un décor décrit avec beaucoup de poésie et de finesse (et qui me donne une irrépressible envie de voyager à Rome).

    La suite, la suite !

    En tout cas, merci pour ces heures d’évasion que seule une vraie auteure peut offrir à ses lectrices.

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    1. Même chose que pour @Soare, @Piloute ! Pour celles et ceux qui voudraient continuer à lire ce qui pourrait sortir de mon clavier dans les prochains mois ou prochaines année, je vous autorise (et vous encourage à utiliser l’adresse mail suivante : pucedepoesir@gmail.com !
      Merci pour votre fidélité et votre estime.
      La prochaine publication prend un peu de retard… Paradoxalement, c’est pendant les vacances que les profs sont les plus occupés… 😉

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