Vacances, canicule et Visiobulle (chap.3)

Cette nouvelle était tombée aux oubliettes et c’était un peu dommage. Vous êtes nombreuses à me l’avoir fait remarquer. Et puis l’été est de retour, et le Visiobulle aussi, alors pour inaugurer comme il se doit ce nouveau site, voilà un troisième chapitre qui, je l’espère, suffira à la remettre d’actualité ! Un petit clin d’oeil à mes capitaines et marins préférés 😉 

(Dépoussiérez vos souvenirs : relisez les chapitres précédents !!!)

Chapitre 1

Chapitre 2


Chapitre 3

 

La voix de Vic se fond dans le paysage sonore. Elle se mêle aux roulis des vagues fendues par le bateau jaune. Même si le vent est léger, l’air lui-même devient rythme et résonnance. Ma conscience lointaine prête une attention circonstancielle aux commentaires du marin. Là, un hôtel exorbitant qui accueille des stars, ici, le second yacht le plus grand du monde, bientôt, le festival pyrotechnique en baie de Cannes… Les informations défilent mais ce sont les émotions qui prennent le dessus.

Mon corps, bercé par le ronron tranquille des moteurs et une houle sensuelle, s’engourdit et s’abandonne. Les yeux ouverts, je ne vois que ce que ma peau sent : le sel des embruns, les papouilles envahissantes du vent, la percussion de chaque vague, sa pénétration humide, à la fois intransigeante et consentie. Le bateau se révèle être le véhicule et le refuge de toutes nouvelles sensations. Et c’est Roxane qui est aux commandes.

Mon regard se lève à la recherche de notre capitaine dans sa cabine. De là où je suis, je ne distingue que son visage et ses épaules. Ses traits sont si détendus qu’on la croirait encore au beau milieu de sa sieste. L’opacité de ses lunettes me cache ses yeux qui, comme je le devine, se perdent à l’horizon. Le bleu profond de la méditerranée contre l’azur insondable de son regard. La mer n’a aucune chance.

C’est tellement étrange de se sentir emporté par un fantasme… Oh, je suis bien loin de me figurer une relation torride avec cette beauté androgyne ! Je ne saurais même pas comment… Les quelques minutes lesbiennes volées à une soirée de mariage avec une illustre inconnue ne me suffisent pas à émoustiller mon imagination… ou si pauvrement que c’en est pathétique.

A défaut de scènes érotiques sauvages, mon esprit comme mon corps se laissent aller à envisager une proximité qui à cette minute se fait nécessaire. Viscérale. Une intimité de peau, d’odeur, de frisson. Un contact subtil qui nous apprendrait tout ce qu’il y a à savoir de l’autre. Je suis curieuse de cette femme. Je veux la connaître au-delà de ce que les sens conventionnels permettent. Je veux brûler les conventions. Goûter sa peau du bout de mes doigts, caresser son pouls serein, écouter le bourgeon de ses seins se durcir à mon souffle…

Je me rends compte que j’ai perdu la notion du temps quand la voix de Vic cesse de parasiter l’atmosphère. Les moteurs faiblissent. Roxane réduit les gaz et se concentre sur son tableau de bord. Nous sommes arrivés à la pointe du cap d’Antibes.

« Les enfants, mesdames, messieurs, vous pouvez maintenant passer dans la partie vision. Faites attention dans les escaliers. Et pour ceux qui ne pourraient réprimer l’envie de nous rendre leur repas de midi, je vous remercie de bien vouloir faire ça par-dessus bord, histoire de nourrir les poissons ! ».

Les gens rient de bon cœur avant de se ruer dans la cale. Bien vite, le pont est déserté. Il ne reste qu’un couple de personnes âgées qui ne semble guère intéressé par les fonds marins. J’hésite. Il serait idiot de monter sur un bateau à vision sous-marine et de ne pas en profiter… Pourtant, ma fascination l’emporte.

De là où je suis, Roxane ne me voit pas, ou si c’est le cas, elle ne me prête aucune attention. Elle est maintenant pleinement concentrée. Son regard polarisé fait des allers-retours constants entre son tableau de bord et la surface, en apparence inoffensive, de l’eau. Au ralenti, le Visiobulle tournoie dans une valse qui paraît aléatoire, mais qui ne l’est sans doute pas, au-dessus des massifs aquatiques. Il me suffit de me pencher pour distinguer, à travers l’eau limpide, les rochers recouverts d’algues. Ils semblent à portée de main. A peine à quelques centimètres de profondeur. Mais ce doit être un effet d’optique puisque, malgré sa cale vitrée, le bateau les franchit sans accroche.

Vic a rejoint ses passagers et je l’entends d’ici plaisanter avec les gens, déterminer les différentes espèces de poissons. Sa voix résonne à l’avant du bateau alors que la cale est derrière. Curieuse, je me lève et m’aventure devant pour découvrir une ouverture grillagée qui doit servir à l’aération de la partie vision. J’entraperçois un bleu lumineux attirer les regards éblouis des enfants et des parents.

« Vous ne descendez pas ? »

Je sursaute et relève les yeux. Seules quelques mèches blondes et salées dépassent de la cabine de pilotage. Je reviens sur mes pas et constate que Roxane n’a rien perdu de sa concentration. Pourtant, elle ajoute : « C’est en bas que ça se passe, vous savez… ».

Pourquoi descendre quand tu es là ? Qu’est-ce qui peut être plus intéressant à regarder que toi ? Mes jambes voudraient bien descendre mais mon regard est accroché à toi !

Je sais que j’ai répondu dans ma tête, mais elle sourit … et je pique un fard. Elle ne me regarde pas mais je me sens stupide. Une excuse, vite !

Dans la précipitation, je réplique : « J’ai peur de… rendre mon repas de midi si je descends par cette chaleur !

– Ah… si c’est pour des raisons médicales, restez avec moi, alors. »

Et elle sourit de plus belle. J’ai bien envie de la prendre au mot et de la rejoindre là-haut, mais je me contente de regagner docilement ma place. Je sais que je suis à l’extrémité de sa vision périphérique et qu’elle est bien trop focalisée sur ses manœuvres pour me voir, aussi, je me replonge immédiatement dans ma contemplation muette. Aux mouvements crispés de ses épaules et aux crachotements des moteurs, je devine qu’elle actionne ses manettes… et j’en suis jalouse.

Hein ?

N’importe quoi… Je crois que l’air marin ne me réussit pas. Je souris de ma bêtise et tente de concentrer mon attention au large. Notre embarcation contourne la pointe du cap et s’engouffre dans la Baie des Milliardaires. Elle en fait le tour sans précipitation. Au fur et à mesure, les gens émergent de la cale pour écouter les commentaires de Vic, de nouveau au micro. J’essaie d’être attentive sans y parvenir.

Quand le bateau sort de la baie, il reprend sa vitesse maximale pour regagner le ponton. Curieuse de voir si le visage de Roxane s’est de nouveau décontracté, je lève mes yeux vers elle et la surprend qui détourne précipitamment le regard. Elle me regardait ? Moi ?

Je ne dois vraiment pas avoir le pied marin : je suis la proie d’hallucinations fantasmatiques. A nouveau, je rougis. Pas elle.

Quand le bateau entre dans le chenal, prêt à apponter, je suis affreusement frustrée. J’écoute les adieux joviaux de Vic et le petit speech encourageant les gens à « toucher le pompon du bâchi pour avoir une année de chance ». Dans sa cabine, les yeux de la belle androgyne sont à nouveau concentrés jusqu’à ce que son marin attache la dernière amarre. En voyant l’attroupement de futurs passagers sur le ponton, je prends ma décision : un tour ne suffit pas. Je me lève brusquement et bouscule quelques passagers pour descendre aussi vite que possible.

Roxane rejoint Vic pour nous débarquer et je vois trop tard qu’elle est sur le point de me dire quelque chose. Sans attendre, je les quitte sous son regard interloqué et me mets à courir.

A la billetterie, la dame qui me voit arriver à bout de souffle s’inquiète : « Il y a eu un problème, madame ?

– Non, pas du tout, mais est-ce qu’il reste une place pour ce tour ? Est-ce que je peux le reprendre ? »

Visiblement soulagée et amusée, elle s’empresse de me vendre un autre ticket. Satisfaite, je me retourne : Visiobulle, me revoilà !

 

*

 

Ce second tour me réserve quelques bonnes surprises. D’abord, les visages incrédules de Vic et sa capitaine quand je leur présente mon nouveau ticket… « En vous voyant partir comme ça, on a cru qu’on vous avait fait peur ! », rit le marin. « Contente que ce ne soit pas le cas », surenchérit Roxane dans un demi sourire. Par habitude, elle tend sa main pour m’aider à embarquer. Et je la saisis.

Quand tout le monde est installé, j’ai le plaisir de constater que c’est Vic qui monte aux commandes… ce qui veut dire qu’immanquablement…

« Mesdames et messieurs, bienvenus à bord du Visiobulle ! »

La voix chaude me surprend, et pas à cause de la déformation du micro : subitement, l’attitude de la capitaine change du tout au tout. De la beauté mystérieuse, un brin bourrue, flegmatique et désinvolte, elle devient femme fatale, souriant par-ci, plaisantant par-là… Je reconnais dans son discours bien rôdé, une bonne partie des informations délivrées par Vic au tour précédent, mais Roxane n’a rien à envier aux accents charmeurs du beau brun. A son tour, elle séduit son public à coup de potins people ou de détails croustillants sur les montants des propriétés, bateaux, hôtels ou hélicoptères que l’on aperçoit depuis son bateau. Quand elle annonce la vision sous-marine, les gens se lèvent d’un seul corps.

Elle pose son micro et, comme pour me faire embarquer, elle me tend une main innocente : « Cette fois, vous descendez », me dit-elle en évitant de plonger son regard dans le mien. Il semblerait que la jeune femme bourrue soit de retour derrière son masque professionnel… Amusée, je me laisse entraîner dans la cale, mes doigts entrelacés aux siens.

En bas, les passagers émerveillés, qui accroupi, qui assis, jonchent la cale en pointant du doigt les fonds marins. L’eau est limpide. La lumière qui filtre de la surface peu profonde éclaire tout le monde d’un bleu céruléen. Roxane demande gentiment à une dame de se déplacer légèrement pour me laisser une place de choix. Je m’accroupis à mon tour et sens mon cœur s’emballer quand elle s’assoit à mes côtés.

Sans quitter l’écran aquatique des yeux, elle cible d’un geste badin un ban de poissons argentés, la naissance de la queue ornée d’un point noir : « Là, ce sont des oblades », me dit-elle sur le ton de la confidence.

J’accueille cette information sans la moindre considération pour ces malheureux poissons : mon regard ne peut se détacher des reflets bleutés sur son beau visage. Derrière moi, j’entends cependant la dame répéter avec révérence à ses enfants : « Des oblades ! ». Le nom des poissons se répand alors en murmures dans toute la cale.

Comme d’un sourire, je l’encourage, elle reprend haut et fort, mais sans grand enthousiasme, ses fonctions professorales. « Là, derrière, vous avez des saupes et… regardez, au milieu d’elles, un loup. »

Dociles, les gens s’extasient sur la faune méditerranéenne. Quelqu’un repère une méduse à l’autre bout de la cale et tous font une remarque sur « ces maudites méduses ». Les algues des rochers sont parfois remplacées par des algues plus longues et plus vertes. Comme une petite fille demande à son papa de quoi il s’agit, Roxane enchaîne : « Ce ne sont pas des algues. C’est ce que l’on appelle de la posidonie, et c’est une herbe. Vous les voyez échouées sur le bord des trop rares plages qui ne sont pas nettoyées. Vous les reconnaissez facilement parce qu’elles ne sentent pas très bon quand elles pourrissent. Mais vous êtes sur la Côte d’Azur, région touristique par excellence, alors on les enlève parce que ça ne fait pas très classe… Ce qui pose un autre problème : sans la posidonie, le sable s’enfuit ! Il est emporté au large par les vagues. Aussi, sur les plages de sable de la région, les communes font venir des tonnes et des tonnes de sable d’ailleurs. »

Devant la moue incrédule de ses passagers, la capitaine sourit en haussant les épaules : « Incroyable mais vrai », affirme-t-elle en reportant son attention à travers les vitres en se penchant de plus belle. Innocemment ou non, sa poitrine vient se poser contre mon omoplate. Pétrifiée, je n’ose me retourner. Je sens son souffle dans ma nuque et son odeur de sel chatouille mes narines. Le contact est léger et rythmé par les roulis du bateau qui nous séparent et nous retrouvent. Mes yeux se ferment malgré moi, comme pour mieux voir cette intimité fortuite.

Soudain, je la sens se tendre légèrement. Elle pose un bras, qu’elle veut sans doute complice, sur mon épaule, et de sa main libre, elle pointe quelque chose au bas de la vitre. « Vous avez bien fait de refaire un tour, regardez… deux étoiles de mer… rien que pour vous ! », murmure-t-elle au creux de mon oreille.

Le frisson que je ne peux retenir lui fait resserrer son étreinte. Pleinement consciente de son corps contre le mien, et plus encore du contact direct de sa peau sur mon épaule nue, je tente de me concentrer sur les petites taches rouges qu’elle désigne. Collées aux parois très irrégulières des rochers, les étoiles ondulent fixement sur les reliefs. L’une est un peu plus petite et plus orangée, l’autre d’un rouge éclatant. Deux de leurs branches se rejoignent, comme si elles se donnaient la main. Elles sont magnifiques. A mon tour, je me laisse happer par la beauté du spectacle.

Mes yeux dérivent des étoiles aux rayons de lumière qui filtrent à travers la surface et qui viennent se poser obliquement jusque dans les posidonies. L’horizon subaquatique est d’un bleu profond, tapissé de ces herbes curieuses qui se balancent nonchalamment. Clairsemé de petits éclairs qu’on identifie aussitôt comme tel ou tel poisson, le paysage est grandiose : écrasant de simplicité, infini, mystérieux. Par moment, un ban surgit de nulle part et vient se pavaner devant les vitres, suscitant les exclamations des enfants comme des adultes.

Roxane ne dit plus rien. Une houle légère perpétue la rencontre de nos corps et son bras sur mon épaule maintient un contact confortable, rassurant, nécessaire. Je ne remarque pas tout de suite que de son pouce, elle caresse machinalement ma peau. Très doucement. Tellement que pendant une seconde, je crois avoir rêvé ses effleurements. Mais non. Le glissement distrait de son doigt reprend de plus belle. La minute est parfaite.

Quand Vic s’éloigne des rochers et relance les moteurs le charme est rompu. Je ne saurai dire combien de temps nous sommes restées l’une contre l’autre, mais soudainement, Roxane semble prendre conscience de sa caresse discrète mais affectueuse. Comme une enfant prise sur le fait, elle se redresse en cachant ses mains derrière son dos. Sans me regarder, elle monte précipitamment sur le pont puis rejoint son marin dans la cabine de pilotage.

Sur le trajet du retour, elle m’évite soigneusement, même en faisant ses commentaires. Perplexe, je m’interroge. Ai-je commis un impair ? Se peut-il que j’aie mal interprété ce rapprochement ? Pourtant, il n’était pas de mon fait… Et pourquoi cette distance tout à coup ? Et surtout, pourquoi est-ce que je me sens aussi frustrée ?

Je dois vraiment avoir besoin de vacances. Il y a quelques semaines à peine, après un énième échec, j’ai décidé de mettre ma vie sentimentale entre parenthèse. Certes, il ne s’agit pas de sentiment ici, plutôt de désir, une forme d’instinct de chair sur lequel je n’essaie même pas de poser des mots. Le genre de besoin primaire qui disparaît comme il naît, dans l’urgence. Et depuis quand est-ce que j’ai des besoins physiques ? Je me suis toujours contentée du strict minimum et ça me convient bien comme ça. C’est d’ailleurs bien souvent ce qui finit par causer la fin de mes relations intimes. Les hommes et leurs besoins…

Non, vraiment, j’ai besoin de repos. Et d’une bonne douche bien fraîche !

Quand le bateau regagne enfin le ponton, je tais le petit pincement qui se fait sentir dans ma poitrine. J’en descends non sans toucher le pompon du bâchi cette fois, et en y glissant, comme bon nombre de passagers, un joli pourboire pour l’équipage. Tous deux me remercient en m’aidant à mettre pied à terre. Sur le visage de Roxane, une composition toute professionnelle.

Déçue mais résolue, je m’éloigne d’un pas vif. C’est alors que Vic me lance : « Ne courez pas cette fois, le troisième tour est offert ! ». Je me retourne : si son visage arbore son plus beau sourire, celui de sa capitaine se décompose instantanément.

Visiblement, la perspective de devoir me supporter à bord une heure supplémentaire est un supplice pour elle. Aussi, je décline aussi poliment que possible et m’éloigne, mortifiée.

 

*

De retour à l’appartement, je me précipite dans la douche. Si l’air du large était agréable, la chaleur s’est à nouveau faite étouffante dès les premiers pas sur la terre ferme.

Le jet frais me surprend et m’arrache bien vite un soupir satisfait. Pendant quelques minutes bien peu écologiques, je me laisse aller au plaisir simple de retrouver une température supportable et mon cerveau apaisé se remet en marche.

Immobile, les yeux fermés, je convoque inévitablement certains des événements de l’après-midi : le bateau, le billet perdu, son visage, les commentaires, la vue imprenable sur la baie, son visage, les poissons, son sourire, son visage… et cette caresse distraite… sa peau, son odeur, son visage…

L’eau coule sur mes pensées et c’est si bon que j’en gémis presque… Non, j’en gémis véritablement. Je dois rouvrir les yeux pour constater que mes mains se sont animées. Elles parcourent mon corps, sans itinéraire, sans savon. Mes seins, éveillés par leurs caresses, deviennent presque douloureux. Pourtant, ce n’est qu’en aventurant mes doigts suspicieux entre mes jambes et en constatant la différence de densité aqueuse que je me résous à cette étrange idée : je suis vraiment excitée ?!

J’en ris bêtement.

Ce n’est pas tant d’être excitée qui me surprend, mais par une femme ? Par cette femme ? Par cette femme qui visiblement ne veut pas de moi ?

Vraisemblablement, les autres avaient raison de s’inquiéter : je ne dois pas être loin du burn out. Si le sexe n’a que rarement été au centre de mes rapports intimes, jamais je ne me suis emballée pour une personne qui ne me désirait pas au préalable. Je n’ai pas assez confiance en mon pouvoir de séduction pour me risquer dans une partie que je ne sais pas gagnée d’avance.

Je n’ai jamais vraiment réfléchi à ma sexualité. L’épisode « Erika » m’a portée à croire que je pouvais pencher pour une forme de bisexualité, mais jamais plus je n’ai été abordée par une femme. Devrais-je me poser la question ? Ou peut-être que ce qui me plaît, chez Roxane, c’est justement ce côté androgyne, presque viril… Oui, c’est sans doute ça…

Quoi qu’il en soit, trêve de bêtises. Et puis faut-il que je me rappelle sa réaction dans la cale ? Et sur le retour ? Et quand Vic m’a proposé de rester ? Non, vraiment, il faut que je me trouve une occupation saine pour meubler les neuf prochains jours, sinon, la folie me guette ! Demain, à la première heure, j’irai à l’office du tourisme. Je trouverai bien de quoi m’occuper.

En attendant, je lave mon corps de ses revendications libidineuses. En sortant de la douche, j’hésite entre m’étendre sur le lit frais ou sortir voir cette fameuse pinède. Un pied sur le balcon confirme mes doutes : il fait encore bien trop chaud pour envisager de remettre le nez dehors !

Sans conviction, j’attrape le premier livre à portée de main sur une des étagères de la bibliothèque et m’allonge sur les draps défaits. Comme je n’arrive pas à lire au-delà de la deuxième page de la préface, je n’insiste pas. Les yeux clos, je me concentre sur ma respiration. Il y a des moments, comme maintenant, où j’aimerais pouvoir méditer. Arriver à ne penser à rien. Mais mon cerveau est entraîné à faire tout l’inverse ! Réfléchir, tout le temps, très vite, et à tout. Il me faut un dérivatif : surtout, je ne dois plus penser à elle.

Je peux penser… au boulot ? Non, sûrement pas. Au réchauffement climatique ? Autant éviter. Aux solutions pour combler le trou de la sécu ? Je hais les problèmes sans solution. Aux koalas, c’est mignon, c’est inoffensif un koala. C’est tout doux et ça s’agrippe partout… un peu comme quand elle a passé son bras autour de moi, et qu’elle était si délicate dans son étreinte, dans sa caresse… Et cette odeur de sel que j’aurais tant voulu goûter, même du bout des lèvres…

Et ses lèvres… Et ses doigts…

Fuck les koalas.

Mon corps s’est rallumé. A la simple convocation de ces effluves d’iode, je me tends entre les draps. Il y a une éternité que je ne me suis pas caressée. Mais le corps sait ce dont il a besoin, et je lui cède en cessant de lutter. Mes mains retrouvent le chemin de mes seins, qu’elles trouvent prêts à imploser. Une petite pression sur chaque téton m’assourdit de plaisir : le sang bat tellement fort à mes oreilles qu’il tait tous les bruits extérieurs.

Je me retrouve seule, dans le silence de mon désir, et m’abandonne, curieuse, à mon fantasme.

Le visage sérieux de Roxane, son corps ruisselant d’eau de mer, la pointe de ses seins dans mon dos, le frôlement distrait de son pouce sur ma peau nue…

Je me tourne sur le ventre et mon sexe vient frotter contre le matelas dans un rythme lent mais de toutes mes forces. Je brûle déjà.

Je la revois se mouvoir, muscles tendus, le corps en alerte… puis tranquille et offerte pendant sa sieste, ou décontractée à son poste de pilotage. Souvenir ou désir, j’en appelle à sa souplesse et sa force sauvage, à la tendresse et la dextérité de ses doigts… ce besoin de la sentir en moi…

Substituts impatients, mes doigts s’immiscent sous la dentelle légère de ma culotte. Mon bassin vient frénétiquement écraser mon sexe sur eux. Je suis trempée. Mon clitoris, enflé et palpitant, devient mon centre de gravité. Là, tout m’échappe. Mon corps avale mes doigts, les enveloppe et les rend sans les rendre. Il les reprend, avide et exigeant, et les suce, et les noie. Mes doigts ne cherchent rien, ils sont les siens. Elle est en moi. Là… oui, comme ça… elle est là et j’explose. J’explose et continue, le sexe en avant, ses doigts en moi, et chaque va-et-vient me désintègre un peu plus… L’orgasme ne s’arrêtera pas, c’est le souffle qui me manque.

Pantelante, je me laisse tomber sur l’oreiller. A l’intérieur, mes doigts subissent toujours les assauts palpitants de mon sexe saturé.

Il me faut plusieurs secondes pour parvenir à réoxygéner mon cerveau. Les pulsations entre mes jambes semblent ne plus jamais vouloir s’arrêter. Quand j’ôte délicatement mes doigts, mon corps se relâche enfin.

Un soupir. Un sourire. Bordel de … Mais qu’est-ce que c’était que ça ?

 

Cette nouvelle a été publiée dans un recueil de 4 nouvelles. Vous pouvez lire la suite ici :

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