Des astres et des lustres (Partie 2)

Partie 1

7

On ne connaît pas la pleine mesure du mot « malaise » tant qu’on ne s’est pas réveillé la tête vrillée par des restes d’alcools, la bouche ravagée par une haleine solide, le corps à moitié nu empêtré dans des draps humides, amnésique des dix dernières heures, bavant sur le bras de la femme sur laquelle on fantasme depuis trois ans… et qui, accessoirement, est aussi peu vêtue que soi… Et qui est encore plus ou moins mariée au seul homme qu’on considère vraiment comme son ami. 

Malaise, donc. 

Solène fait appel à tout son sang-froid pour ne pas bondir sur le lit. Manue est là, elle dort contre elle, le visage à quelques centimètres à peine de la bouche d’égout qui refoule au milieu de son propre visage… Solène cesse de respirer. A son oreille, elle entend le pouls de Manuela battre dans son bras. Il est lent, terriblement calme, chaud. Elle dort profondément et cela rassure un tout petit peu Solène, qui respire à nouveau… uniquement par le nez. 

Comment se sont-elles retrouvées là ? Elle n’en a pas la moindre idée, et leur proximité l’empêche de réfléchir. Peut-être qu’il ne s’agit que d’un mauvais rêve, et qu’il suffit de fermer les yeux ? Mais elle a beau le faire plusieurs fois, c’est toujours le visage endormi de Manue qui lui fait face. 

Solène l’observe. Quand elle dort, le visage de Manue ne sourit pas. Quand elle dort, elle ne peut pas faire semblant. Et surtout, quand elle dort, Solène peut la regarder sans se sentir transpercée par ses iris outrageusement verts. Pour la première fois en trois ans, elle se retrouve à moins de vingt centimètres de ces lèvres qu’elle a tant espérées, et cela la terrorise. 

Elle s’attarde sur leurs contours, légèrement crispés par ses rêves, sur la couleur ténébreuse de leur chair, qui tranche avec la peau pourtant halée de Manue. Elle lève lentement son regard sur ce petit creux, juste au-dessus de la lèvre supérieure, qui participe au charme de la bouche comme du nez. Elle y retrouve une fine cicatrice, qui se devine à peine, mais qui l’a toujours intriguée. Elle escalade son nez franc, en caresse les narines du bout des yeux et remonte le long de l’arrête, jusqu’aux sourcils. Ceux-ci sont légèrement froncés, creusant deux rides distinctes dans le prolongement du nez. Les sourcils de Manue ne sont ni trop épais, ni trop fins. Chose étrange, il semblerait qu’elle ne se les épile pas. Solène pensait que toutes les femmes s’épilaient les sourcils, mais, maintenant qu’elle l’observe de près, elle remarque le dégradé de poils, de plus en plus fins, qui dessinent les contours de ses yeux.

Ses yeux… Même pudiquement fermés sur son sommeil, ils perturbent Solène. Les sourcils fournis et bien bruns de Manue tressautent légèrement par instant, toujours agités par ses rêves, sans doute, mais à chaque fois, Solène redoute qu’ils ne s’ouvrent et ne la prennent en flagrant délit de… voyeurisme ? Elle redoute leur couleur presque irréelle, leur transparence, leur force. Elle redoute leur clairvoyance, surtout. Un jour, Solène le sait, elle ne pourra plus faire illusion devant ces yeux-là.  

Il faut qu’elle se lève, qu’elle bouge, et surtout, qu’elle aille se brosser les dents ! 

*

Flash.

Alors qu’elle s’est faufilée dans la salle de bain et qu’elle a ouvert le robinet pour s’asperger abondamment, les souvenirs de Solène refluent. La veille au soir, elle le sait, elle a accompli les mêmes gestes. Elle est venue là, s’est retrouvée devant le miroir, et a éprouvé le besoin urgent de se tremper la tête à l’eau froide, carrément. Elle se rappelle, en sentant les gouttes sur son visage, le choc thermique de la veille, quand elle a passé sa tête sous le robinet. Elle se souvient de son cri, qui a alerté Manue. Elle la revoit enturbanner maternellement sa tête dans une grande serviette blanche, en gloussant et en lui demandant pourquoi elle avait fait ça. Elle se rappelle vaguement les deux packs de bière qui ont été siphonnés, ainsi que la moitié restante d’une bouteille de rouge et le fond d’une bouteille de rhum qu’elle avait ramené de Cuba quelques années plus tôt. 

Mais aucune idée sur ce qui lui a valu d’être à moitié nue, couchée dans son propre lit, le corps emmêlé avec celui de sa voisine. L’eau froide ravive quelques bribes de conversations, et explique vaguement l’humidité des draps autour d’elle… Mais elle ne justifie pas la présence de Manue dans son lit. 

*

Solène n’ose pas retourner dans la chambre. Si elle y allait, elle ne pourrait s’empêcher de regarder Manue dormir… Et fatalement, celle-ci finirait par se réveiller sur une Solène incapable de justifier son manque de pudeur. Le salon est jonché des vestiges de leur soirée. Les bouteilles ont vaguement été regroupées, les coussins sont au sol, les cartons à pizza sont encore à moitié pleins. Sans faire de bruit, elle réunit les restes dans un seul carton qu’elle enfourne dans le frigo. Sans faire de bruit, elle efface peu à peu les traces de leur soirée, convoquant ses souvenirs par la lenteur de ses gestes. Sans faire de bruit, elle pense à tout ce qu’elle aurait pu dire ou faire de pire. Son imagination étant bien plus prolifique que sa mémoire, elle enchaîne les scénarii les plus catastrophiques, attendant le réveil de Manue roulée en boule sur le canapé, luttant pour ne pas s’éclipser de son propre appartement.

8

– Géniale ton imitation du chat ! Comment tu fais à être aussi souple ? Tu devrais venir au yoga, je suis sûre que tu nous rendrais toutes vertes de jalousie !

Solène sursaute et se déplie précipitamment au son de la voix de Manue. Elle a la désagréable impression d’avoir été prise sur le fait alors qu’elle était en train de faire quelque chose de mal. Mais le regard mi-envieux mi-bienveillant de Manue la rassure un peu. 

Celle-ci semble avoir passé une bonne nuit. Elle a les traits détendus et, fort heureusement, elle a pris la peine d’enfiler une chemise par-dessus le débardeur bien trop court qui la revêtait si peu cette nuit. Solène fuit ses yeux trop verts et cherche désespérément quelque chose à dire. Elle se contente d’un grognement et d’un trop vague :

– Bien dormi ?

Manue sourit de toutes ses dents, sans relever le ton bougon de son hôtesse :

– Comme un bébé. J’adore ton lit ! Je ne sais pas si c’est parce qu’on a un peu trop picolé ou si c’est parce que t’as investi dans un matelas de compétition, mais j’avais pas aussi bien dormi depuis… mon adolescence, je crois…

– Ça doit être un contre-coup de soirée pyjama.

Manue rit. Elle rit d’un rire du matin, clair, cristallin, d’un rire qui fait pâlir d’envie les chaudes lueurs de l’aube, qui les éclipse involontairement mais définitivement. Solène implose de joie, mais elle ne tremble pas. Elle se fige. Elle se tend. Elle n’était pas prête à vivre ce rire du matin. C’est donc ça, se réveiller dans la vie de Manue ? Comment pourra-t-elle trouver la moindre saveur aux matinées suivantes ? A toutes celles que Manue ne partagera plus avec elle ? 

Alors même qu’elle a l’impression de vivre le plus beau moment de sa vie, Solène pleure la perte de tous les moments identiques qu’elle ne vivra pas. Connaître Manue, c’est cela. Connaître Manue, c’est connaître la perte, le manque, la faim. 

Solène ferme les yeux sur cette pensée dévorante et saute du canapé.

– Tu veux un café ? 

– Un long, s’il te plaît. Désolée de m’être incrustée, comme ça…

Solène hausse les épaules, comme si cela ne lui importait pas. « Le mal est fait » retient-elle. 

– En même temps, il fallait bien quelqu’un pour te coucher, hier soir. Sinon, je suis presque sûre que tu aurais passé la nuit par terre. Je ne t’avais jamais vue dans un état pareil ! J’avais peur que tu sois malade…

Sans oser poser la moindre question, et redoutant plus que tout que Manue lui livre les détails de la soirée, Solène ne peut éviter un froncement de sourcil interrogateur.

– Pas étonnant que tu ne t’en souviennes pas… Tu étais complètement délirante ! Je crois que je n’ai jamais autant ri de ma vie !

Solène grogne en allumant la grosse machine à café qui débute aussitôt son bruyant cycle de nettoyage. Elle profite du vrombissement sourd de la machine pour essayer de se souvenir à nouveau. Mais rien ne lui revient que les gestes presque tendres de Manue qui lui essuie la tête, ou, bien avant cela, de leur conversation sur un avenir post-Milo pour sa belle voisine autour de la troisième ou cinquième bière. Elle ne se rappelle même pas avoir sorti le vin, et encore moins le rhum. Quand la machine se tait, elle se résout à annoncer :

– Je ne me souviens de rien à partir du moment où tu disais que tu envisageais de transformer ton appartement en cabinet. On a parlé matos et déco, non ? A quel moment on a sorti le vin ? Et le rhum ?

– Oh, on a parlé de bien plus que ça !

Le sourire de Manue semble, pour la première fois, particulièrement sadique aux yeux de Solène. Elle voudrait s’enterrer, mourir vite, quitter ce corps qui la trahit, perdre conscience, ne plus jamais avoir à subir honte, frustration, désir inassouvi. Mais Manue poursuit :

– Tu n’as quasiment pas bu de vin. C’est moi qui ai fini ta bouteille. En revanche, tu m’as écrasée au rhum. Même si… je crois que tu étais déjà anesthésiée à la bière… T’es une petite chose fragile, en fait !

Ce sourire triomphant, encore ! Solène appuie à nouveau sur sa machine pour lancer le café de Manue et pour gagner quelques secondes de silence. Elle crève d’envie de se cacher les yeux, de se rouler en boule par terre et d’attendre que Manue quitte son appartement en la laissant là, noyée dans sa honte. Mais elle ne le peut pas. Elle ne peut pas avoir fait tant d’efforts ces trois dernières années pour tout bousiller à la première occasion. E, surtout, elle ne peut pas rester dans l’incertitude. Quand le liquide fumant a fini de couler dans le mug de Manue, elle lui tend son café et demande d’une voix qu’elle veut assurée et insouciante :

– Alors ? De quoi a-t-on bien pu parler ? J’espère que je n’ai rien raté d’important…

Elle s’attendait à tout, sauf à voir Manue piquer un fard. Dans ce qui semble être un mouvement de précipitation, la grande brune porte son mug à ses lèvres et se brûle en avalant le précieux liquide, sous le regard interloqué de Solène.

– Attention, c’est chaud ! Tu as bien vu qu’il vient juste de couler !

Dans sa hâte pour récupérer le mug trop chaud de Manue qui cherche à s’en débarrasser, Solène manque de se renverser le contenu dessus. 

– Attention ! » lui crie Manue. « Tu as bien vu que je viens juste de me brûler ! »

Toutes deux se regardent alors et éclatent d’un petit rire gêné. Solène rend sa tasse à Manue, en veillant bien à ce qu’elle ne se brûle pas les doigts. Et comme un silence embarrassé s’installe, elle se retourne vers sa machine à café et presse le bouton pour faire couler le sien. Manue la regarde faire, elle la sent dans son dos… Elle guette le moment où celle-ci reprendra enfin la parole pour éclaircir les mystères de la nuit précédente, mais au lieu de ça, Manue se gratte bruyamment la gorge, comme pour attirer son attention. Solène fait volte-face et Manue pointe son menton en direction de la machine. Solène comprend sans même se retourner. 

– Oh pu…rée. La journée va être longue. 

Alors que Manue explose franchement de rire, cette fois, – encore ce suppliciant rire du matin -, Solène porte ses mains à ses tempes qu’elle enserre. Elle ferme les yeux pour ne pas voir le café couler, sans tasse pour le recueillir, dans le bac de vidange de sa machine. 

– Ça va aller, Solo. Essaie encore. Mais, s’il te plaît, mets une tasse, d’abord !

Elle passe un bras qui se veut réconfortant autour des épaules de Solène. D’un petit geste amical, elle caresse son dos, comme pour la ragaillardir. La tension de Solène fait un bond alarmant. Elle se raidit involontairement et fuit vers le placard pour chercher un autre mug. Le bras de Manue retombe dans le vide mais pas son sourire. Solène essaie de reprendre contenance : 

– Je… je n’ai pas grand-chose pour le petit dej’. Pas une miette de pain, peut-être deux ou trois vieilles biscottes et un fond de beurre… Mais je peux aller chercher…

Manue la coupe aussitôt.

– Ah mais au contraire ! On a tout ce qu’il faut ! Il est resté plein de pizza hier, et là, j’ai une dalle à avaler tous les restes de pizza !

Solène la regarde avec de grands yeux étonnés. Manue reprend :

– J’adore la pizza, le matin. C’est mon petit dej’ préféré. T’inquiète, je m’en occupe. Donne-moi une poêle. 

– Une poêle ? 

– Oui, au micro-onde, c’est dégeu. Au four, c’est trop long et ça dessèche. A la poêle, c’est une tuerie !

Solène essaie vainement de ne pas s’affoler du regard gourmand de Manue. Elle sort docilement le carton de pizza restante et une poêle, puis s’écarte pour la laisser prendre les rênes. Elle se pose contre son plan de travail, son café à la main, et regarde Manue qui dépose presque religieusement les parts de pizza dans la poêle, qui lance la plaque à feu moyen, couvre le tout et l’agite machinalement, comme pour s’assurer que rien n’est collé.

Solène sourit à son tour et presque malgré elle. Dans sa cuisine, Manue a encore plus l’air d’une géante. Elle dépasse de la hotte, atteint sans problème les étagères les plus hautes de ses placards, doit tendre le bras pour toucher la plaque de cuisson ou le plan de travail. On la croirait dans une maison de poupée alors que Solène, qui l’a pourtant faite faire sur mesure, doit encore utiliser un marchepied pour attraper le pot de miel.

– Miam… J’ai faim ! » se pourlèche Manue. « Toi aussi, t’as intérêt à manger. Hier soir, t’as plus fait honneur à ton verre qu’à ton assiette… enfin… qu’à ton carton ! »

– Je ne sais pas si j’arriverai à avaler ça de bon matin…

– Tu feras un effort. Il faut que tu t’habitues.

– Que je m’habitue ?

Solène ne comprend pas. Manue fait sa petite moue mystérieusement insupportable. Satisfaite de la température de la pizza, elle coupe le feu et fait glisser le petit dej’ dans une grande assiette. Elle la dépose sur l’îlot de la cuisine et se pose à côté de Solène en l’invitant à se servir.

– Oui, que tu t’habitues à partager mes petits dej’ ! Rappelle-toi hier soir… Tu as lourdement insisté pour qu’on devienne coloc’, alors… va falloir que tu t’habitues à moi ! », lâche-t-elle en croquant voracement dans une part de pizza. 

Solène devient cramoisie, elle le sait, elle le sent, et elle ne peut strictement rien y faire. Fort heureusement, Manue semble trop accaparée par son repas pour le remarquer. Abasourdie, elle cherche une échappatoire. Dieux ! Envoyez la foudre ! Une pluie de grenouilles ! Un tremblement de terre ! Un démarcheur immobilier ! N’importe quoi mais… 

Pourquoi fallait-il qu’elle boive autant ? Comment, après tous ces efforts, comment avait-elle pu être aussi bête pour perdre le contrôle ? Et d’où sortait cette histoire de colocation ?

Son silence finit par interpeler Manue qui reprend, entre deux parts :

– T’inquiète pas, Solo, je ne compte pas débarquer chez toi et m’installer, comme ça. Généralement, je ne prends pas au sérieux les gens qui sont tellement bourrés qu’ils n’ont plus toutes les consonnes. Mais… c’était drôle, quand même. 

Solène sourit, d’un sourire plat, vide. D’un sourire tellement faux qu’elle s’attend à voir les verres se briser autour d’elle. Manue dévore sa seconde part de pizza presque aussi rapidement que la première. Pour retrouver un peu d’assurance, Solène saisit une part à son tour. Avant de croquer dedans, elle jette un : 

– C’est dingue, je ne me rappelle vraiment de rien.

Et c’est entièrement vrai. D’ailleurs, Solène ne veut absolument plus se souvenir de quoi que ce soit. Elle veut disparaître.

*

Quand elle referme la porte derrière Manuela, Solène a mal dans la poitrine. Elle tâte son torse, écarte ses seins comme pour mieux respirer, elle cherche à soulager ses chairs, ses os, ses veines du calvaire toxique qui la ravage. Quelque part, à ses oreilles, résonne le rire désormais intemporel de Manue au réveil. Ce rire qui, elle le sait, va la hanter jusqu’à la fin de sa vie. Elle se sent sombrer dans la folie. Elle se regarde descendre un à un les cercles infernaux qui la mènent à sa perte. Entre deux éclats cristallins du rire de Manuela, elle entend, en boucle, sa dernière promesse : « On remet ça ce soir ! »

9

Trois ans plus tôt

Manue rentre avec près de deux heures d’avance, ce samedi soir. Elle a eu deux rendez-vous annulés, mais pour une fois, elle ne s’en plaint pas. Elle se sent épuisée. Avec un peu de chance, Milo aura une sortie prévue, ce soir, et elle pourra rester tranquille. Elle ne rêve que d’une chose : se vautrer dans son canapé et regarder la fin de sa série du moment.

Un camion gêne fâcheusement l’entrée de l’immeuble. Manue grogne en le contournant et, comme elle s’apprête à le dépasser, elle entend un bruit sourd et un douloureux « Merde ! » qui s’en échappe. Elle jette un coup d’œil indiscret à l’intérieur et croise le regard d’une toute petite bonne femme qui s’agite derrière un énorme buffet.

– Bonjour », lance poliment Manue. 

– Bonjour ! Je suis désolée ! Je sais que le camion est au milieu, mais je fais au plus vite, promis !

La jeune femme a parlé à toute allure puis a disparu derrière le buffet. Visiblement, elle essaie de le pousser, mais celui-ci grince sur cinq ou six centimètres avant de s’immobiliser à nouveau. Manue la voit gesticuler en ahanant bruyamment et ne peut contenir un fou-rire.

– Je crois que vous avez besoin d’un coup de main », dit-elle en grimpant dans le camion. 

Comme l’autre essaie de refuser poliment, Manue pose son sac et insiste en tendant une main amie.

– Je suis, apparemment, votre nouvelle voisine. Je suis au rez-de-chaussée, couloir de droite et je m’appelle Manue. 

– Enchantée. Solo, euh… Solène, 2ème gauche, je crois. Enfin… Oui, c’est ça, gauche. 

Solène est toute ébouriffée et rougie par l’effort. Son souffle saccadé trahit le manque de coopération du buffet. 

– Vous pensiez sérieusement pouvoir bouger ce truc toute seule ?

– Oh, pour bouger, il bouge… Un peu… Mais… 

La jeune femme pousse un profond soupir et secoue la tête de désespoir. Une autre jeune femme, un peu plus grande et plus blonde fait son apparition derrière elles :

– Solo, je t’avais bien dit qu’on n’aurait jamais dû le prendre, lui. On n’arrivera jamais à le monter. 

– Manue, je vous présente Sophie, Sophie, c’est Manue du rez-de-chaussée.

– Enchantée, mais je crains que, malgré votre carrure, Manue du rez-de-chaussée, ce soit peine perdue.

Intriguée par la nouvelle venue, qui lui paraît bien plus jeune et plus défaitiste que son amie, Manue ne se démonte pas.

– Attendez, j’appelle la cavalerie !

Elle attrape son téléphone dans son sac et appelle Milo. Moins d’une minute après, son compagnon, frais et dispo, vole au secours de ces dames. A eux quatre, ils parviennent presque délicatement à décharger le buffet.

Un bon quart d’heure et quelques litres de sueur plus tard, ils ont réussi à le hisser jusqu’au second étage. Il trouve sa place dans le salon de Solène d’où il ne bougera plus. Jamais. Du moins, c’est ce qu’espère Manue. Milo s’excuse vite. Il doit se préparer, mais Manue aide les filles à faire les deux derniers voyages. Solène, grimpe dans le camion et charge d’abord Sophie, qui s’éloigne en pestant sur le poids du carton. Au moment de charger Manue, la jeune femme semble hésiter. 

– Vous pouvez me donner les deux qui sont là, ne vous inquiétez pas, j’ai les épaules larges !

Manue mime un culturiste en pleine pose et arrache un vrai sourire à Solène, qui rougit. Résignée, celle-ci se penche pour faire glisser le premier carton jusqu’au rebord du camion et, ce faisant, la languette cartonnée sur laquelle elle tire cède brutalement. Solène, entraînée par son poids, bascule en arrière et tombe du camion. Manue se précipite instinctivement pour la rattraper mais Solène la percute sans qu’elle puisse l’éviter. C’est ainsi qu’elles se retrouvent toutes deux au sol. Enfin… Surtout Manue. 

Tombée sur les fesses, Solène entre ses bras, elle aura toutefois empêché leurs têtes de heurter le sol. C’est sur la poitrine de Manue, que la tête de Solène s’est écrasée. Toutes deux ont le souffle coupé et, si jusque-là, Manue est parvenue à éviter de poser la tête au sol, elle s’allonge presque délicatement pour relâcher la pression. 

Dans ses bras, Solène s’agite comme un petit oiseau blessé. Son corps frêle et léger étendu sur le sien, elle se redresse sur ses bras et plonge un regard inquiet dans les yeux de Manue :

– Oh mon Dieu ! Je vous ai fait mal ? 

Manue est sous le choc, et son coccyx lance des pointes de douleurs insupportables, mais il lui suffit de remuer discrètement pour comprendre qu’elle n’a rien de cassé. Comme Solène semble paniquée, elle la rassure.

– Tout va bien, ne vous inquiétez pas. 

De soulagement, Solène s’effondre à nouveau sur la poitrine de Manue.

– Pardon, Manue, Pardon ! C’est ce foutu carton… Oh je suis sûre que je vous ai fait mal ! Je suis vraiment désolée…

Comme Solène parle à nouveau avec un débit difficile à suivre, Manue la serre contre elle pour la rassurer.

– On a évité le pire, vraiment. Vous auriez pu vous briser la nuque, de cette hauteur. Et moi, je vais bien, promis. 

Prenant enfin conscience qu’elle est encore sur elle, Solène se dresse à nouveau sur ses mains, cette fois. Tout délicatement, en cherchant à ne pas écraser davantage Manue, elle essaie de trouver un appui au sol avec ses jambes, mais le corps de Manue est bien plus grand que le sien et, dans ses mouvements, elle glisse malencontreusement son genou et le bas de sa cuisse contre le pubis de Manue.

Celle-ci, encore sonnée par la chute, ne comprend pas tout de suite ce qui lui arrive. Elle ne comprend pas la décharge électrique qu’elle sent entre ses jambes. Le temps d’un éclair, elle pense que le frottement a réveillé sa douleur, mais il ne s’agit pas de douleur. Du moins, pas d’une douleur liée à cette chute. Quand Manue réalise ce qui lui arrive, elle s’assoit brusquement. 

Dans son mouvement, elle a redressé Solène qui se tient là, à genoux devant elle. Dans cette position, leurs visages sont quasiment à la même hauteur. Manue, dont le sexe bat furieusement, panique complètement. Devant le regard inquiet, voire apeuré de Solène, elle décide de rire, pour désamorcer sa gêne. La jeune femme finit par se détacher d’elle et se relève. Elle tend une main coupable à Manue, pour l’aider à se relever. Celle-ci s’en saisit en suppliant son corps de se contenter de ce soutien. 

Son corps semble ne plus lui appartenir. Il y a bien trop longtemps que le désir ne l’a plus habitée ainsi. Oh, elle avait bien fait semblant, pour rassurer Milo, mais cela faisait des années qu’elle ne s’était pas enflammée, comme cela, par un simple contact. 

En lâchant la main chaude et tentante de Solène, Manue comprend qu’il va lui falloir remonter en selle, et vite ! Son corps l’exige soudain, et d’une bien curieuse façon. Il ne suffit pas prétendre vivre une relation libre, il faut que son corps puisse exulter ! Elle ne peut pas se permettre de perdre les pédales, comme ça. Surtout pas avec son métier. Il ne manquerait plus qu’elle se mette à désirer les corps de ses patients, maintenant ! La fatigue… ce doit être la fatigue.

Solène parle à nouveau, bien trop vite pour que Manue saisisse tout ce qu’elle dit, mais elle comprend qu’elle s’inquiète encore d’éventuels dommages physiques… Ah ! Ça ! On peut dire qu’elle a subi de sacrés dégâts ! Mais elle se contente de répondre, légèrement provocante :

– Ne vous inquiétez pas, vraiment. Je suis ostéopathe. Je vous garantis que je vais bien. En revanche… Si vous voulez que je vous examine… ?

Solène s’étrangle. Elle rougit de nouveau et bafouille un refus poli mais catégorique. C’est le moment que choisit Sophie refaire son apparition.

– Ben ça va ? On papote et on me laisse tout porter, c’est ça ? 

10

Quelques semaines plus tard

            Depuis le déménagement, Manue a l’impression que Solène la fuit. Plusieurs fois, elles se sont croisées dans les couloirs. La première fois, Solène lui a demandé poliment si elle n’avait pas de séquelle de leur chute, mais depuis, elle n’a plus jamais abordé le sujet… ni aucun autre sujet, d’ailleurs. Elle s’est contenté des politesses d’usage et d’un sourire poli, trop froid, trop distant pour que Manue n’y voie pas une sorte de gêne. 

            Peut-être Solène est-elle excessivement timide ? Peut-être a-t-elle particulièrement mal vécu le fait de tomber littéralement sur une inconnue ? Peut-être a-t-elle senti le désir fulgurant et inapproprié qui a embrasé Manue ?

Quoi qu’il en soit, Solène est visiblement mal à l’aise, et Manue en est insidieusement affectée. Elle finit par en parler à Milo de manière légère, comme on parle du boulanger qui a pris la mouche parce qu’on lui a demandé une baguette pas trop cuite. 

– Solène ? Ah ? Je ne trouve pas. Elle est très sympa. Elle est drôle, même. Elle a un humour presqu’aussi aiguisé que le mien !

– Eh ! Ça va, les chevilles ? 

– Ben justement, puisqu’on parle de mes chevilles… Elle m’a proposé d’aller courir avec elle, le samedi matin. 

– Ah ? 

Quelque part dans les entrailles de Manue, quelque chose remue. Quelque chose de désagréable. Si elle ne trouvait pas la chose complètement folle et hors de propos, Manue aurait peut-être même cru qu’il s’agissait de jalousie. Mais il n’en est pas question. Et puis Milo est un bel homme, elle le sait bien, elle l’a épousé. Et puis Milo est libre, elle passe son temps à le lui répéter. 

Manue n’ose pas poser de question, mais du menton, elle invite son compagnon à lui en dire plus. 

– Elle veut reprendre le sport en douceur et elle cherche un partenaire parce que sa meuf est plus du genre geek. Courir, ça ne l’intéresse pas du tout. 

– Sa meuf ?

– Ben oui, Sophie.

Manue n’en croit pas ses oreilles. Alors Solène est…

– Alors Solène et Sophie sont… en couple ? 

– M’enfin, Manue, tu vis sur quelle planète ? On les a aidées à emménager, non ? T’as bien vu qu’elles vivaient ensemble ? T’as vu leurs deux noms sur la boîte aux lettres ? Y a pas besoin d’être Sherlock Holmes pour comprendre, quand même ! 

Devant l’air hébété de Manue, Milo poursuit :

– Et en plus, ça se voit grave ! Solène a plus de couilles que moi !

– Oh. Très classe.

– Ouais, enfin, tu vois ce que je veux dire ! Tu lui rajoutes vingt centimètres et tu lui colles quelques poils de barbe et elle devient le meilleur parti de toutes les célibataires à 100km à la ronde !

– Elle n’a sans doute pas besoin de tout ça pour être un bon parti…

Manue n’a pas pu s’empêcher de faire la remarque et Milo réagit aussitôt :

– Dommage qu’elle soit prise, ma vieille. Je sais bien que ça te titille, les filles. 

Manue s’étrangle devant le culot moqueur de Milo. Elle s’en veut de rougir parce qu’elle sait qu’il va le remarquer, et elle ne veut vraiment pas parler de ça avec lui. Au lieu de cela, elle préfère inventer un nouveau plan-cul du moment. Un mec aussi viril qu’imaginaire, et qui permet à Milo d’aller voir ailleurs sans le moindre scrupule.

Malgré l’épisode tragique de la chute-source-de-désir, Manue n’a toujours pas réussi à passer le cap. Certes, elle a bien compris que son corps n’est pas mort, que son désir coule toujours en elle, comme un magma en fusion enfoui sous les couches les plus épaisses de son monde. Mais, à part ce contact improbable avec sa nouvelle voisine, rien ne lui fait envie. Elle a bien essayé de sortir, d’accepter des roucoulades ridicules, quelques frottements malicieux, mais son corps lui-même a refusé d’en tolérer davantage. 

Alors depuis plus d’un an, elle s’invente ponctuellement des amants. Le dernier remonte à plus de deux mois. Milo pourrait commencer à s’inquiéter. 

Il s’appelle Paul. Il ne faut jamais aller chercher trop loin dans les prénoms. Le plus simple est toujours le plus efficace. Il est jardinier. Il a trente-huit ans et des mains d’artisan, bien fermes, musclées, abîmées aussi, mais si fortes. Il ne sourit pas beaucoup, ne parle pas beaucoup, mais ce n’est pas ce que Manue lui demande, hein ?

Comme d’habitude, Milo pose quelques questions. Par curiosité ? Par politesse ? Pour se comparer ? Manue ne sait pas trop. Elle est lasse. Elle s’en veut d’avoir inventé Paul. Maintenant, il va lui falloir faire semblant de sortir. Quitter son appartement pour aller dieu-sait-où et y rester suffisamment tard pour que l’aventure soit crédible.

Elle déteste mentir. Elle déteste lui mentir. Mais elle déteste encore plus lui faire de la peine. Comment aurait-elle pu lui dire qu’elle ne le désirait plus du tout ? Comment aurait-elle pu lui annoncer, après l’avoir poussé à acheter cet appartement ensemble, qu’elle ne se sentait plus bien ni dans sa vie, ni dans son lit ?

Au fond, il ressent sans doute la même chose. Depuis ce nouvel arrangement, il a retrouvé sa gaité, son humour, et tout ce qui faisait son charme quand ils se sont rencontrés. Mais Manue a changé, elle le sait. Il ne s’agit pas de relancer le couple. Il s’agit d’amorcer une rupture entre deux êtres qui se veulent toujours le plus grand bien. 

Alors, aussi paradoxal que ce soit, elle s’enfonce toujours plus loin dans ses petits mensonges. Mais, un jour, elle le sait, il leur faudra acter une vraie séparation. Et Solène n’en sera pas le prétexte, aussi jalouse que soit Manue. Parce qu’il faut bien l’admettre, elle envie Milo de cette nouvelle complicité avec son intrigante voisine.  

11

Quelques mois plus tard

– J’ai invité Solo à venir manger avec nous, ce soir. J’espère que ça ne te dérange pas.

– Solène ?

– Oui. Elle a enfin plaqué sa casse-couille de meuf. Définitivement, cette fois. Enfin… C’est ce qu’elle dit. Elle est dans un sale état, la pauvre. Elle m’a fait de la peine. 

       Manue tente de masquer son trouble. Depuis plusieurs semaines, elle essaie de ne plus penser à la chute. Elle essaie de tout son corps. Elle évite de croiser Solène dans les couloirs, elle connaît ses horaires, maintenant. Elle a modifié les siens pour limiter les rencontres, mais l’annonce de Milo l’électrise à nouveau. 

       Solène vient manger… et elle n’est plus avec Sophie. Manuela ouvre le frigo, répertorie ce qui reste dans son congélateur, inspecte tous ses placards. Milo la regarde s’agiter et lui demande :

– Mais… Qu’est-ce que tu fais ?

– On n’a rien à manger. Qu’est-ce qu’on va pouvoir lui faire ? 

– M’enfin, chérie, elle ne vient pas pour manger, elle vient surtout pour pleurer et pour boire, hein…

       Sourde aux arguments de Milo, Manu se creuse les méninges pour trouver quelque chose à proposer, quelque chose de bon, quelque chose qui soigne les chagrins et qui l’encourage à revenir. 

– Je vais faire un Dahl. On a des lentilles corail et je pense qu’il reste suffisamment d’épices pour faire un poulet madras. Sors le poulet du congélateur, s’il te plaît, et mets-le à décongeler ! Mais qu’est-ce qu’on va lui proposer en entrée ? Et en dessert ? 

– Solo ne mange pas de dessert. Elle n’aime pas le sucre. Et calme-toi. Le dahl et le poulet, c’est parfait. Et vas-y sur le piment, elle aime bien quand c’est relevé. 

       Manue n’est pas surprise de voir que Milo connaît déjà parfaitement les habitudes culinaires de leur voisine. Il est comme cela : attentif aux détails, prévenant. Comme elle donne ses ordres en cuisine, il obéit docilement. Ils ont toujours aimé cuisiner ensemble. 

Quand quelques coups discrets frappent à la porte, Manue se tend. Ils ont terminé les préparatifs, mais elle aurait aimé pouvoir se changer, s’apprêter un peu. Là, elle ressemble à… rien. Comme Milo se dirige vers la porte, elle s’éclipse en courant vers sa chambre, sous le regard amusé de son conjoint. 

– Ne te fais pas trop belle, tu pourrais bouleverser son petit cœur fragile ! », plaisante Milo.

       Il ouvre la porte sur une Solène silencieuse. Manue les entend à peine se saluer et s’embrasser. Dans sa hâte, elle manque de tomber en enfilant un jean propre. Elle vérifie que sa nouvelle chemise est bien boutonnée, se recoiffe rapidement du bout des doigts et renonce au maquillage. 

       Quand elle les rejoint, Solène lui semble encore plus désirable que d’habitude. Et c’est gênant. Très gênant. Parce que Solène est triste, et cela se voit. Elle porte sur son visage les stigmates de la déchirure. Le chagrin ne la défigure pas, il la rend fragile, vulnérable. Plus sensible que jamais. Manue s’avance vers elle et résiste à l’envie de la serrer dans ses bras, de la prendre contre elle pour la sentir palpiter dans son étreinte. Elle se contente de l’embrasser, platement. D’autant plus platement qu’elle a pu constater, comme à chaque fois ces derniers temps, une sorte de raidissement, une retenue de la part de la jeune femme. Une retenue qu’elle n’a jamais exprimée vis-à-vis de Milo, mais qui se manifeste systématiquement à l’approche de Manue. Cette dernière en est profondément blessée. 

       La soirée se passe dans un mélange de platitude et d’intimité. Une intimité dont Manue se sent exclue. Et son cœur se serre. Et son corps de tait, bâillonné par un rejet incompréhensible et inacceptable.

*

       A l’issue de cette soirée, et pour les centaines d’autres qui ont suivi, Manuela a regardé, passivement, se développer l’amitié entre Milo et Solène. Plusieurs fois par semaine, ils ont mangé ensemble, tous les trois. Mais à chaque fois, elle a eu l’impression d’être la troisième roue du carrosse. Elle a cru étouffer de jalousie quand Milo lui a dit qu’il partait en week-end de pêche avec Solène, ou quand Solène lui a offert une paire de baskets, pour son anniversaire. Manue a bien essayé de se résigner, mais rien n’y a fait. Tout ce qui touche de près ou de loin à Solène, la touche, elle.

       Alors quand Milo est parti pour de bon, Manue n’a pas résisté bien longtemps. Sans le moindre scrupule, elle s’est invitée chez Solène, le soir même. Cela faisait déjà des semaines qu’elle prévoyait son coup. Mais ce qui s’est passé ce soir-là, ça, elle ne l’avait pas prévu. Pas du tout !

A suivre…

Et en attendant, un bon 1er mai à toutes et tous !

4 commentaires

  1. Bonjour Éloïse,

    Merci de continuer à écrire. Je prends toujours plaisir à suivre l’invitation à la découverte. Mon sentiment est parfois en bascule, entre l’ordinaire, le commun et la fraîcheur de l’imprévu.

    Néanmoins je suis le fil. Pas tant pour le récit ou les sensations, mais pour approcher la pensée écrite, réfléchie ou spontanée, soudaine. Une pensée qui s’affranchit de la torpeur, qui éveille ! Non pas au monde ! À soi, à l’autre. Ou bien à l’autre, à soi.

    Ici je vous partage un lien, une sorte de carnet de voyage complice, témoignant de quelques allers et venues.

    http://petitesmorts.canalblog.com/archives/2023/04/21/39885473.html

    http://petitesmorts.canalblog.com/archives/2023/03/28/39860281.html

    Je vous salue bien, de tout cœur

    Xavier.

    Télécharger Outlook pour Androidhttps://aka.ms/AAb9ysg ________________________________

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