APPRENDS-MOI… (chap. 1)

Je ne sais pas encore ce que deviendront ces lignes… Soit les tribulations d’une modeste enseignante en littérature dans un lycée quelconque, soit ses affres sulfureuses et érotiques. Peut-être me contenterai-je d’anecdotes glanées au fil de mes journées, peut-être dériverai-je dans une fiction vaguement teintée d’authenticité… bien plus épicée que la « très sobre » réalité ! Quoi qu’il en soit, ça fait bien longtemps que je délaisse ce blog et l’envie me démange de m’y remettre, si le coeur vous en dit !

Raaaaaah ! Retrouver le chemin du lycée, la joie des embouteillages aux heures de pointe, l’absurdité du manque de places de parking dans l’enceinte d’un établissement de ville, les minutes de la pause-café-d’avant-les-cours-du-matin gâchées à chercher où me garer pour finalement franchir, pile à la sonnerie, les grilles de l’entrée, au milieu d’une foule de jeunes sans la moindre motivation, trempée d’avoir dû parcourir sous une pluie battante les 200km qui me séparaient de ce havre de grâce et d’élévation…

Là, humide et hors d’haleine mais indifférente aux silhouettes hurlantes et odorantes qui me dépassent pour la plupart de vingt bons centimètres, je me fraie tant bien que mal un passage jusqu’à la porte de ma salle.

Dedans, « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté* ». Non, en fait, dedans, c’est seulement un peu plus calme pour l’instant, mais la horde adolescente qui piétine aux frontières de mon havre de paix s’apprête à tout gâcher.

D’un signe de tête, je me sens toute puissante : les 37 âmes sensibles et délicates qui constituent mon défi de cette première heure se ruent à l’intérieur en jouant des coudes, se chuchotant un florilège de gentillesses. Quelques uns prennent la peine infinie de me dire  « bonjour » : la journée sera faste.

C’est drôle ce qui se passe dans la tête d’un prof à cet instant-là. La seconde d’avant, on se demande ce qu’on fout là, ce qu’on a pu faire de si répréhensible, quel mauvais choix, quelle erreur fatale, quel coup du sort, quelle malédiction ultime et cruelle a bien pu faire qu’on se retrouve là, fatigué (à 8h du matin, oui, oui), énervé, mal garé, décaféiné, quasi suicidaire… devant cette masse indisciplinée, effrayante…

Et soudain, la magie opère. On se redresse malgré soi, on s’éclaircit la voix, notre regard passe de « vitreux » à « aiguisé », notre bouche dessine presque involontairement un sourire léger alors que notre main s’élève devant cette troupe que tout à coup, on considère avec une certaine… tendresse. Oui, de la tendresse, de la bienveillance. Le sourire se creuse un peu plus devant les échos qui se profilent sur les lèvres d’en face. Un « Bonjour tout le monde » s’échappe, anaphoriquement repris par un « Bonjour Madame » relativement convaincant. Tous les regards convergent enfin, le silence tombe, implacable. La scène est à nous.

Un instant à peine, une fraction de seconde et nous voilà métamorphosé, délesté des détresses humaines, affranchi de nos peurs, de nos doutes et des milliards de petits tracas du quotidien. La journée peut commencer, on existe enfin !

Je suis prof.

Pire, je suis prof de lettres.

Mieux, je suis prof de lettres et j’aime ça !

Certes, les élèves percutent bien plus vite à mes blagues qu’à mes références littéraires : « Zola ? Boah. Ça ressemble un peu à Ebola, non madame ? », « Gargantua ? Ah oui, j’connais, c’est une pizzeria à Grasse ! », « Racine ? Ah en français j’sais pas madame, j’sais que en maths… et encore… », etc.

Certes, pour bon nombre, écrire se borne à un exercice de sélection phonétique de lettres qui, juxtaposées, constituent, selon la légende, le langage « texto », certes, ils ont un peu trop souvent des capacités d’attention proche de… rien, zéro, néant, nada… et pour y remédier, on doit se surpasser, faire preuve de conviction, d’ingéniosité, de fermeté, de patience, de compassion…

Certes…

Mais aujourd’hui je le confesse – j’adore ce mot, mais ce n’est pas là la teneur de ma confession -, j’adore être prof. Prof de lettres.

Chapitre 2

*QUOI ??? T’as besoin de regarder la note de bas de page pour savoir d’où viennent ces mots célébrissimes, cultissimes, inoubliables ?! Honte à toi !!! Jamais Ô plus JAMAIS tu n’oublieras qu’ils sont le fait de Baudelaire, dans le poème « L’invitation au voyage », tiré du recueil Les fleurs du mal. JAMAIS.

24 commentaires

  1. Aaaaaah mais je croyais qu’il y allait avoir du cul moi *déception* 😀 Oui comme d’habitude j’ai l’esprit dans la culotte 😀
    Dois-je attendre le jour 2 alors ? :p 😉

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  2. Y’a pas à dire, ton écriture est inimitable. Dès la première phrase, on est embarqué, on ne peut plus s’arrêter de lire. Même sans Q… 😉
    Vite, une suite !!!

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  3. Et pourtant, on parle toujours de seins ici ! Il y a le sein qui prodigue le lait maternel aux bébés, et puis il y a le sein qui nourrit l’âme et rassasie la soif de connaissance des adultes. Avec l’un des métiers le plus beaux du monde, les prof (es) peuvent « nourrir » tous les ages des gens ! 🙂
    Comme Fennec, je dirais « dès la première phrase, on est embarqué, on ne peut plus s’arrêter de lire. » 😉

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