Le premier soir

Un petit texte retrouvé dans les replis court-circuités d’un vieux disque dur… Que je partage pour fêter le début des vacances !
En illustration, une huile sur toile d’Emmanuel BENNER

LE PREMIER SOIR

Je sais qu’il est tard, mais je ne veux pas que la soirée se termine. Je ne veux pas partir, je ne veux pas te quitter. Il y a bien trop de perfection, de bonheur, de plaisir simple dans ces dernières heures, dans nos premières heures ensemble, dans cette rencontre merveilleuse. De découvertes en reconnaissances, de conversations en regards entendus, nos échanges nous promettent déjà bien plus.

Nous ne nous sommes pas séparées après manger. Nous avons marché, continué à parler, nous sommes rapprochées. Les lumières de la nuit nous ont émues de leur douceur, de leurs reflets. A ce moment déjà, j’aurais voulu que le temps se suspende. La première fois que ton épaule a frôlé la mienne, là, sur ce pont, j’ai pris soin de ne pas trembler. Mais je me suis bel et bien penchée sur le vide. C’était grisant. Tu l’étais. Tu m’as invitée chez toi. Je t’ai suivie en prenant ton bras le plus naturellement du monde. 

*

Nous avons fini de boire nos thés depuis longtemps. En bas, la rue est calme. Une horloge déclame des tic-tacs culpabilisants. La nuit est déjà bien entamée et tu travailles demain. Je n’ai pas le droit de te tenir éveillée plus longtemps. J’aurais aimé… J’aurais voulu… Je n’ose pas.

Comme je me lève pour remettre ma veste et mes chaussures, tu m’observes d’un œil paniqué. Je te rassure, je retrouverai mon chemin. Et je n’ai pas peur de marcher seule la nuit. J’ai juste peur de te quitter. Peur de perdre… ta présence déjà si nécessaire. Je traîne un peu, je le sais bien. Je cherche une excuse pour me rapprocher de toi… J’ai tellement envie de caresser ton visage, poser mes lèvres sur les tiennes, goûter à ta peau… Au lieu de cela, j’attrape mon sac d’un air décidé. Je n’ai pas le droit de m’imposer. 

– Tu veux vraiment partir ?

– Non, bien sûr que non.

– Alors reste.

Savais-tu déjà que c’est ce que j’attendais ? Devines-tu à présent à quel point ces quelques mots me délivrent ? Je voudrais te remercier… Je me contente d’un « D’accord ». Je repose mon sac, abandonne à nouveau mes chaussures et ma veste, et je t’observe t’engouffrer dans ta chambre en m’appelant du regard. Avant de te suivre, j’ôte un à un mes bijoux : bagues, montre, bracelet, lunettes. Chacun de mes mouvements est extrêmement calme, mais à l’intérieur, je brûle. 

*

Quand je passe la porte, je te vois, calme aussi, allongée sur le lit. Sagement, je le contourne et viens m’asseoir de l’autre côté. Pas un mot n’est prononcé. Tout se fait lentement, dans le respect de ces heures tardives. Quand je pose mon regard sur toi, tu m’ouvres tes bras, simplement, chaleureusement, irrésistiblement. Je veux m’y précipiter, pourtant, je m’y love délicatement. Comme notre étreinte se resserre, tu remarques les battements impudiques de mon cœur, je sens les tiens. Mon corps vient s’emboiter à toi dans la candeur de l’union innocente.

Ce geste ne me semble pas être de l’ordre de la découverte mais plutôt des retrouvailles. C’est étrange. C’est bon. Il n’y a pas d’inquiétude, pas de crainte liée à l’ignorance, mais plutôt le confort de ce que l’on reconnaît, la confiance de l’évidence. Nulle hâte, rien d’autre que le plaisir de sentir nos corps l’un contre l’autre. Quelque part au fond, il y a bien une note d’impatience qui bouillonne, mais nous savons que notre désir sera assouvi. Dans l’immédiat, je veux te savoir. Je veux m’avouer à toi.

Nous pourrions aussi bien rester enlacées comme ça et passer la nuit dans les bras l’une de l’autre que j’y trouverais mon bonheur. Je ne veux rien presser. Nos mains, nos bras ne peuvent s’empêcher de caresser ce corps que nous nous offrons. Lentement. Tes lèvres viennent se poser sur mon front. Elles sont d’une douceur bouleversante. Déjà, je tressaille à l’idée de les imaginer sur ma bouche. Mais tu prends ton temps, et je n’ose pas hâter quoi que ce soit. Je veux profiter aussi intensément que possible de chaque seconde. Je sens tes lèvres glisser sur ma tempe, ma joue, le coin de ma bouche… Je ne peux pas résister plus longtemps à notre premier baiser, un baiser si simple, si suave, si beau qu’il en appelle tout de suite des dizaines d’autres. 

*

J’aime tes lèvres. J’aime leur façon de venir conquérir ma bouche, j’aime qu’elles soient en harmonie avec les miennes. Je savoure leur goût, m’abreuve à leur souffle et m’ouvre à elles. Nos langues sont discrètes, timides, mais finissent par se rencontrer elles aussi. C’est délicieux. La minute est parfaite, l’étreinte se resserre. Imperceptiblement, nos corps commencent à bouger l’un contre l’autre, les caresses se font plus insistantes. Je veux sentir ta peau nue contre la mienne. Je veux « voir » ton corps. Je te sais déjà magnifique, je veux pouvoir graver cette certitude au relief de ta peau, au secret de tes courbes, à la faveur de ta nudité.

Mais je ne peux me résoudre à me détacher de toi. Cette fois, mes mains ne résistent pas à tes boucles, à tracer les contours de ton visage, à s’aventurer dans ton cou. Ma bouche elle aussi veut faire la connaissance de ta peau, du bout des lèvres d’abord, timidement, puis y risquer délicatement les dents, ma langue, incapable de taire mon désir de toi.

Et plonger mon regard dans le tien. Y lire un désir semblable. Du désir mais pas seulement. Je n’ai pas de mots pour décrire l’infinie tendresse qui se reflète alors à nos pupilles. Une tendresse qui se répercute dans chacun de nos gestes, dans chacun de nos soupirs. Sont-ce nos fatigues mutuelles qui accentuent la langueur de cette étreinte en cette heure tardive ? Peut-être… Mais c’est tellement bon que je voudrais que ce soit plus lent encore. Ma jambe s’est glissée entre les tiennes alors que nos bouches se retrouvent et que ma main glisse inexorablement le long de ta hanche. Tu me fascines. 

Chaque parcelle de ton corps que je découvre, des yeux, des mains ou de la bouche m’enchante. D’un mouvement de bassins consenti, nous roulons jusqu’à ce que tu me surplombes. Ton regard est aussi grave que le mien. Grave mais lumineux. Tu es sublime. Je ne cesse de me le répéter. Sublime. 

J’ai souvent cette peur incontrôlable et malsaine de… ne pas être à la hauteur ? Ne pas être assez… douée ? Sûre de moi ? Manquer d’expérience ? Ne pas mériter…

Et tu es si attirante… Mais je refuse la peur. Je suis là. Avec toi. Et je suis merveilleusement bien. Je ne veux rien changer. Je ne veux pas être quelqu’un d’autre et je suis comblée que tu sois toi. Si toi, et si superbement là, dans mes bras, sur moi. Je te regarde et tu me reviens, quelques heures plus tôt, fatiguée de ta journée de boulot, confuse dans tes explications, curieuse de ma modeste personne, timide devant mon objectif, passionnée malgré toi dans tes conversations, si brillante, si vraie, impressionnante. 

*

Et là, tu vibres contre moi, de ce désir que nous partageons, et je me sens incroyablement privilégiée. Je pense à tout cela… et en même temps, je ne pense plus à rien d’autre qu’à cette envie de toi qui grandit à chaque seconde. Mes mains s’aventurent sous les tissus importuns, les tiennes font de même. Mais cela ne nous suffit plus. Les hauts s’envolent alors pour laisser l’espace au contact. A l’approche de ta peau, mon corps s’embrase. C’est plus fort que moi. Mes mains courent sur ton dos, mes lèvres se posent dans ton cou, mes dents t’avouent ma faim de toi dans un petit pincement sans équivoque. 

Nos jeans demeurent nos seules entraves. Mais pas pour longtemps. Là encore, il nous faut une certaine discipline pour nous dissocier, le temps de la libération… et bien vite nous nous retrouvons enfin. 

Nues. 

Étourdissante sensation. Je ne peux empêcher mes mains de se promener ainsi sur toi. Et tu fais de même.

Pas un mot n’est prononcé. Nos caresses parlent d’elles-mêmes. Elles ne sont pas que « préliminaires », elles sont dialogue, aveux, promesses.

Depuis l’arrondi tentateur de ton épaule jusqu’à celui non moins tentant de tes fesses, je laisse courir mes doigts dans le silence poignant de ton regard qui plonge en moi comme on boit à la source. Nos bassins joignent leur rythme à celui de nos mains, à celui de nos cœurs. 

Bientôt, nous ne serons qu’incandescence. Bientôt, nous cueillerons le plaisir dans le cri de l’autre, nous sublimerons la nuit et ses espoirs de rêves en veillant à la félicité de l’autre. Cette nuit, l’amour, le plaisir et le désir nous réalisent. A leur image, nous sommes belles. A leur image, nous sommes intemporelles, singulières et plurielles.

5 commentaires

  1. Bonsoir,

    Je vous remercie de tout coeur pour ce texte d’une infinie douceur, qui m’a émue aux larmes. Merci pour vos mots, pour votre plume, pour la tendresse de vos histoire et pour vos personnages touchants.

    C’est toujours un plaisir de vous lire.

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  2. La poésie se goutte tandis qu’elle nourrit par la subtilité du regard, de l’écoute… Le monde alors s’arrête et le corps devient source d’une jouvence qui se délivre par la beauté du présent.
    Le cœur généreux alors s’exprime. S’agit-il seulement d’amour ? D’exaltations, de parfums, d’érotisme ?
    Un mouvement lié au désir de vivre, de partager, de relier ce qui unit. Vivre avec cette énergie vitale, à travers elle. D’où jaillit-elle ?

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