Humanités

C’est un peu par hasard que je suis retombée sur ce texte. Il s’agit de ma toute première nouvelle. Ecrite dans le cadre d’une sorte de concours privé entre amies, je ne l’avais pas jugée digne d’être publiée, ni sur Yagg, ni sur ce blog. Aujourd’hui, je la relis avec l’oeil tendre de celle qui se souvient… et je la partage avec vous.
Soyez indulgent(e)s.

NB : Pour cette nouvelle, comme pour Délires à lire, il fallait obligatoirement qu’il y ait une scène hétéro et une scène homo.

Humanités


Cécile est lesbienne. Elle nous l’a annoncé à table ce soir, comme ça, à bout portant. 

Fabien et moi fêtions notre retour. Vingt-deux mois passés sur les chemins les plus retirés du monde, à distribuer des médicaments et quelques conseils de santé élémentaires aux oubliés des médias et de cette majorité bien-portante de la population qui caractérise notre hémisphère. Impatients de retrouver nos amis, nous avons choisi un petit restaurant en bord de mer sur St Raphaël, à mi-chemin entre sa ville et la mienne pour nous réunir tous.  

C’est au premier rendez-vous de la Croix Rouge, sur le port de Marseille d’où nous devions embarquer, que Fabien et moi nous sommes rencontrés, juste avant de partir. Si bien que je n’ai pas connu ses amis, ni lui les miens. Nous avons donc été agréablement surpris de voir que cette soirée s’est révélée être une réussite. Les présentations se sont faites d’elles-mêmes et, à peine une heure après l’apéritif, tout le monde se connaissait, discutait, plaisantait… ou bien racontait quelque vieux souvenir inconvenant sur l’un de nous deux.

De son côté, j’ai rencontré ses deux frères et me suis extasiée de leur ressemblance, ainsi que leurs deux amis d’enfance dont l’un a fait le voyage depuis Lyon pour être avec nous ce soir. De mon côté, je lui ai présenté ma sœur qui est aussi une de mes meilleures amies – nos onze mois d’écart ont très certainement encouragé cette complicité -, ainsi que Cécile, mon « inséparable » depuis le primaire. A nous trois, nous formions un trio infernal dans le quartier, connues de tous les voisins principalement pour nos longues promenades riantes et bruyantes. 

Ma sœur semble avoir pris quelques kilos, et je devine que cela doit lui peser sur la conscience, surtout qu’elle n’aura pas manqué de remarquer que ma vie vagabonde a eu un effet inverse sur moi ! Et Cécile… 

Cécile m’est d’abord apparue étonnamment calme de me revoir. Comparée à ma sœur, plus excitée qu’une puce, et à moi qui leur ai sauté au cou à toutes les deux, j’ai bien failli être surprise par la tranquillité de mon amie. Mais à la réflexion, c’est bien là la seule chose qui n’ait pas changé chez elle. 

Elle m’a semblé tellement plus… femme. Les cheveux plus courts, les yeux à peine maquillés, une chemise dangereusement cintrée et décolletée… Pendant une fraction de seconde, je me suis demandée où étaient passés ses éternelles baskets et tee-shirts informes, mais je me suis abstenue de lui faire la réflexion pour éviter de la mettre sur la défensive. Je me suis juste permis un clin d’œil approbateur qui a suffi à la faire rougir. Si je n’avais pas été aussi heureuse de la revoir, je me serais sans doute posé des questions sur cette nouvelle assurance qui semblait transparaître dans son allure, une nouvelle maturité légèrement atténuée par sa retenue naturelle. 

Au cours de l’apéritif, alors que j’essayais de tenir correctement mon rôle d’hôtesse en passant d’une personne à l’autre, écoutant et racontant plus ou moins les mêmes choses à chaque fois avec les uns et les autres sur ces deux dernières années, j’ai remarqué que même quand elle n’était pas avec ma sœur, Cécile participait aux conversations, riait, se mêlait aux uns et aux autres. Surprenant.

– Tu as remarqué ? m’a demandé ma sœur en croisant mon regard étonné.

– Humm… j’avoue que là, je suis larguée. Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Elle ne t’a rien dit ?

– Dit quoi ?

– Ça m’étonne. Surtout à toi ! Enfin, je veux dire… elle m’avait dit qu’elle voulait te le dire elle-même alors…

– Mais de quoi tu parles ?

Je n’ai rien pu arracher à ma sœur, ce qui bien sûr m’a fortement agacée alors pendant le repas, n’y tenant plus, j’ai très subtilement posé la question à Cécile :

– C’est quoi ce truc que tu devais me dire ?

Elle a rougi, a regardé ma sœur, puis m’a fixée droit dans les yeux avec un grand sourire en me disant :

– Je suis lesbienne.

– Félicitations ! a répondu Fabien.

– Bienvenue au club, a rajouté son petit frère.

– Hein ? 

 C’est tout ce que j’ai trouvé à dire.

A côté de moi, ma sœur imitait sans doute ma moue car Cécile en nous regardant est partie dans un fou-rire…  J’avoue que je n’ai pas su comment réagir. 

Cécile lesbienne. 

Je l’ai dévisagée, interrogée du regard et l’amusement que j’y ai lu m’a laissée indécise jusqu’à ce qu’il soit balayé par un des regards les plus sérieux que j’ai jamais vu dans ses yeux. Un éclair, une force tranquille, une vérité apaisante et apaisée, voilà ce que j’ai compris en une fraction de seconde. 

Ce regard, il me transperce encore des heures après.

Je n’ai posé aucune question. D’autres s’en sont chargés pour moi. Sans enthousiasme, résignée, elle a répondu aux curiosités des uns et des autres, précisant que ça fait un peu plus d’un an qu’elle a changé de bord, qu’elle a rencontré quelqu’un qui lui a ouvert un nouvel horizon sur lequel elle vogue bien plus sereinement. Elle a reconnu avoir « fréquenté quelques filles » sans donner plus de détail. Mais Fabien n’a pas pu s’empêcher de lui demander :

– Allez, combien ?

– Quatre.

– Et là tu es avec quelqu’un ?

– Plus ou moins.

– Humm, tu veux dire deux à la fois ?

– Non, je veux dire que je vois quelqu’un mais je ne sais pas si je peux dire que je suis avec elle.

– Tu veux dire que c’est uniquement pour le sexe ?

– Si tu veux.

– Et dis-nous, qu’est-ce que tu préfères chez les filles ?

– Tout… et rien. C’est différent, c’est tout.

Avant qu’il ne pose une autre question, j’ai fait taire mon partenaire d’un grand coup de coude dans les côtes. Cécile m’a remerciée d’un hochement de tête et ma sœur a habilement lancé un autre sujet sur la table. 

Plus tard dans la soirée, alors que les uns finissaient leur café et que d’autres encombraient la piste de danse, je suis sortie quelques minutes pour trouver la tranquillité de la nuit tombée. Seule devant la mer aux écumes lunaires, mes pensées volaient en éclat : l’Afrique, la lune, Cécile, d’autres mers, d’autres terres, Fabien, Cécile…

Je l’ai entendue m’appeler juste derrière moi.

– Tu me fuis ?

– Non pourquoi ?

– Je ne sais, pas, j’aurais pensé que peut-être… tu voudrais me parler. 

– Bien sûr que je veux te parler !

Elle m’a regardée droit dans les yeux.

– Tu as changé, m’a-t-elle dit.

– Et toi donc ! 

Comme elle a souri, je me suis empressée de reprendre :

– Enfin, je veux dire… pas seulement pour ça, mais tu es plus… femme. Et ça te va bien !

– Merci. 

Comme je me suis soudain fortement intéressée à la boucle de mes chaussures, elle a détourné la tête avant de dire :

– Fabien a l’air d’être un gars bien.

– Il l’est.

– Il t’aime, ça se voit, et ta sœur vous imagine déjà mariés et parents. Elle m’a dit qu’elle allait se renseigner sur les listes de mariage et ce qui se fait pour les enterrements de vies de jeunes filles !

– Oula… Il va falloir que je la calme. On n’en est pas encore là !

– Mais tu es heureuse ?

– Oui », ai-je répondu en continuant à fixer mes pieds, « Et toi ?

– Oui.

Sur cette confirmation, nous avons été interrompues par une première vague de départs, principalement ceux de nos amis qui ont dû payer une baby-sitter pour cette soirée de retrouvailles. 

Minuit approchait et il ne restait que les plus proches. Nous avons décidé d’aller faire une petite balade sur la plage en embarquant quelques bouteilles et gobelets en plastiques. Nous nous sommes rapidement arrêtés à l’abri d’une petite crique et avons formé un cercle dans le sable, où bouteilles et gobelets ont tourné de mains en mains. Les souvenirs du « bon vieux temps » ont fusé, puis aux souvenirs ont succédé les secrets que tout le monde connaissait. Tous sauf un. 

Légèrement attisée par l’alcool, ma sœur m’a lancé un clin d’œil qui se voulait complice en lâchant :

– Moi je connais quelqu’un d’autre qui a déjà eu une expérience lesbienne…

– Qui ? Qui ? » s’est enquis le groupe d’une seule voix. Sauf moi bien sûr, qui subitement transpirais à grosse gouttes.

– Celle-là ! » a-t-elle dit en me désignant du doigt.

Et là, j’ai vu tous les regards se braquer sur moi. Mais qu’est-ce qui lui avait pris de dire ça ?

Devenu tout rouge, Fabien s’est soudainement accroupi et m’a attrapée par l’épaule en me demandant :

– Toi ? Eh ben ma chérie, tu ne m’avais pas dit ça ! C’était qui ? Quand ? On veut tout savoir !

– Oui ! Tout savoir ! » ont repris les autres, en chœur. Sauf Cécile qui me dévisageait en silence. Probablement en train de se demander pourquoi je ne lui avais rien dit.

– C’était il y a longtemps, je ne me rappelle plus … j’ai trop bu…

– Allez, ma chérie, lâche-toi ! Raconte !

– Rien, on s’est juste embrassées, c’est tout », ai-je essayé d’esquiver.

– Mais qui ? Quand ?

– Une fille à la fac.

– Allez, ne te fais pas prier, raconte-nous !

Pour la deuxième fois de la soirée, je me suis concentrée sur mes chaussures, et contre toute volonté des souvenirs ont refait surface, entraînant d’inquiétantes bouffées de chaleur.

Sa langue. Sa main. Sa langue et sa main. Contact. Ce souvenir électrique me coupait le souffle et réveillait mon désir malgré les circonstances. J’ai réussi à puiser un peu de courage dans la haine que brusquement ma sœur m’inspirait, et je me suis lancée, en évitant de croiser les regards de Fabien et de Cécile.

– C’était en troisième année à la fac. Il y avait cette fille… elle était lesbienne. Complètement. Enfin, je veux dire, elle ne s’en cachait pas. Elle était plutôt androgyne, et elle avait des yeux terriblement bleus. Un regard perturbant. A l’époque, j’étais à fond dans la psychologie, l’analyse des comportements humains, et cette fille, c’était un sujet de thèse à elle seule. Elle respirait la provocation. Ça me fascinait. Je suppose qu’elle a dû remarquer que je l’étudiais et un jour que j’étais à la bibliothèque, elle est passée devant la petite salle dans laquelle je m’étais enfermée pour travailler. Juste avant qu’elle ne disparaisse derrière la porte vitrée, j’ai croisé son regard et j’ai eu l’impression qu’elle m’avait reconnue. Et quelques secondes plus tard, elle est revenue devant la porte, elle l’a ouverte et s’est approchée de moi. Là, j’ai un peu paniqué, je me suis levée et avant que je n’aie pu dire un mot, elle m’avait plaquée contre le mur et … embrassée.

– Et ?

Tout le monde avait l’air suspendu à mes lèvres.

– Et rien du tout. Elle est repartie comme elle est venue. Je n’ai jamais su son nom. Je l’ai bien recroisée quelques fois, mais on ne s’est jamais parlé.

Ses lèvres, ses mains. J’avais coupé court à ma narration parce que je ne pouvais, ou ne voulais pas raconter avec des mots ce qui s’était passé dans cette salle.

Elle m’avait plaquée contre le mur en prenant pourtant délicatement ma tête dans ses mains ; elle avait rapproché ses lèvres des miennes en souriant de m’entendre haleter au contact de son corps, entièrement lové contre moi. Son regard planté dans le mien comme un piège métallique aussi bleu qu’acéré, elle avait fait glisser une main le long de mon bras, puis elle était remontée jusqu’à mon sein. 

Jamais je n’avais ressenti une telle décharge d’énergie sexuelle. Elle avait avalé mon souffle haché par ses gestes, et sans que je ne puisse l’expliquer, c’est moi qui l’avais embrassée. Moi qui étais allée chercher ses lèvres, sa langue, son goût. Ce baiser m’avait quasiment fait perdre connaissance jusqu’à ce qu’une autre décharge plus violente encore ne me ranime complètement. 

Sa main s’était glissée entre mes cuisses et avait pressé mon sexe déjà brûlant, de plus en plus fort. 

Brusquement, quelqu’un avait éternué à quelques mètres de nous, et je m’étais entendue gémir alors qu’elle se retirait. Mon corps tout entier avait voulu accompagner son mouvement de recul, mais elle m’avait maintenue contre le mur. Son visage avait affiché un sourire ravageur avec une pointe d’amertume. Elle m’avait alors regardée de haut en bas, avait incliné la tête comme pour approuver quelque chose, puis avait tourné les talons et refermé la porte délicatement derrière elle. 

Ce jour-là, j’avais dû rentrer chez moi changer de culotte et retrouver mes esprits. Depuis lors, je n’avais pas pu me permettre d’aller en cours sans une culotte de rechange au risque de croiser son regard au détour d’un couloir. Sa simple vue me consumait de désir au point que je recherchais pathétiquement sa présence. L’année suivante, je l’avais définitivement perdue de vue, mais jamais je n’ai oublié ses yeux, sa langue, ses mains.

Quand le stock de champagne et de vin s’est épuisé, nous nous sommes décidés à nous séparer. Je n’ai pu empêcher ma main de gratifier ma sœur d’une sobre tape sur la tête au moment des « au revoir ». Cela dit, j’étais bien trop éméchée pour lui en vouloir, et déjà, nous fixions un prochain rendez-vous, dans l’intimité exclusive du trio infernal.

L’agitation de la soirée est maintenant retombée. La route berce mes réflexions et me voilà de nouveau plongée dans l’embarras de ce souvenir homosexuel. Je ne m’étais confiée qu’à ma sœur, plus par défi qu’autre chose un soir où elle m’accusait de ne pas être une aventurière du sexe. 

En effet, ma jeunesse fut chaste et sage comparée à la sienne, mais cette anecdote lui avait rabattu le caquet pour un temps. Faire cet aveu devant tout le monde ce soir aura été une autre paire de manche… Mais finalement, je suis surprise de constater que ça n’a choqué personne. Mise à part la curiosité collective, une fois la chose racontée, nous sommes passés à d’autres aventures ou mésaventures sexuelles, et je n’ai eu droit à aucune réaction particulière, excepté de Fabien qui semblait tout excité par ce passé de dépravée. 

La maison n’est plus qu’à une dizaine de minutes et j’en profite pour abandonner mon regard au paysage. A un abribus, je remarque une affiche pour un parfum, ou des bijoux : deux femmes qui se tiennent la main, une de face, l’autre de trois-quarts. Je ne peux m’empêcher de penser qu’aujourd’hui, la vue de deux femmes qui se tiennent la main ne perturbe plus grand monde.

Je repense à cette main… à ces yeux. Depuis trois heures maintenant, la scène n’arrête pas de se reproduire sur l’écran de ma mémoire et, sans comprendre pourquoi, au moment de la séparation, ce ne sont plus des yeux bleus qui me transpercent mais le regard noir de Cécile.

Je secoue la tête pour me débarrasser de cette idée saugrenue, et Fabien croit que je lutte contre le sommeil. Il engage la conversation.

– Alors comme ça on a fait des folies de son corps avec une fille ?!

– Espèce de pervers… Alors comme ça toi aussi tu fais partie de cette immense majorité de mecs que ça excite ?

– Je plaide coupable. J’avoue. Ça m’excite. Tu m’excites.

– N’essaie pas de te rattraper…

– Non, je te jure ! Tiens, donne.

Il saisit ma main la colle contre sa braguette. Effectivement, il est excité. Je suis bien obligée de reconnaître que moi aussi, mais avant que je ne dise quoi que ce soit, c’est lui qui vient en reconnaissance. Il profite d’un feu rouge pour glisser sa main sous ma robe et sourit en sentant mon humidité au bout de ses doigts. Nous voilà à égalité. Nous faisons les quelques mètres qui nous séparent de la maison en silence. 

Arrivés devant la porte, il saisit ma taille et m’embrasse avec ferveur. Il me plaque contre la porte et à ce geste, au contact du bois derrière moi, mon corps se rappelle d’une autre étreinte… je gémis. 

Perturbée, j’essaie de rentrer la clé dans la serrure dans l’obscurité pendant que ses doigts se fraient un passage entre mes cuisses. Alors qu’un majeur inquisiteur entre en moi, j’ouvre la porte et nous la refermons presque aussitôt derrière nous. La chambre est bien trop loin pour s’y réfugier. Son doigt est déjà en train de me rendre folle et je peste contre sa ceinture pour essayer de le libérer. Il nous faut moins de cinq secondes pour nous défaire du moindre centimètre de tissu. J’aime son corps. J’aime voir qu’il me désire. J’aime sa façon de me faire l’amour.

Il m’allonge sur le canapé, toujours préoccupé par le feu humide, contradictoire phénomène, qui fait rage entre mes jambes. Quand il me pénètre, c’est avec son sexe tendu, et de tout son corps, dans un élan qui m’emporte presque immédiatement vers ma jouissance. Il connaît mon corps, il l’a déjà apprivoisé, et refuse la facilité. Il essaie de retenir mes ardeurs, en se retirant et en rentrant lentement, s’attardant avec sa langue sur mes seins entre chaque assaut. Je ne peux retenir un petit cri à chaque vas-et-viens et quand il accélère je retiens mon souffle, guettant ses propres réactions. Il est au moins aussi excité que moi. Mon bassin, qui bouge au même rythme que ses hanches, lui crie ce que ma bouche ne peut pas dire : « Maintenant !». 

Quand, à son tour, je l’entends gémir, je laisse le plaisir m’envahir totalement et nous jouissons sans silence, sans retenue, dans l’embrasement de nos corps et la douceur de la nuit. Pendant quelques minutes, nous restons l’un dans l’autre, aimantés par nos sueurs dans une étreinte tendre et apaisée. 

Fabien est parti pour notre premier week-end en célibataire depuis une vingtaine de mois. Il est allé dans sa famille pour des retrouvailles officielles, et il est convenu que je fasse de même. Pourtant, de mon côté c’est simple, il n’y a que ma sœur. D’ailleurs elle est en retard. Elle est censée passer me chercher pour qu’on rejoigne Cécile en ville pour un déjeuner, mais je l’attends depuis une demi-heure, sans nouvelle.  

Une idée me traverse subitement : et si je rallumais mon téléphone ?

Avant même que j’ai composé mon code PIN, on frappe à la porte. C’est Cécile. Devant mon œil interrogateur, elle répond :

– Tu n’as pas eu le message de ta sœur ? Elle vient de me rappeler en me disant que ça fait des heures qu’elle essaie de te joindre. Elle m’a demandé de passer te prendre parce qu’elle nous rejoindra plus tard, apparemment elle est sur un coup, mais je n’ai pas pu deviner si c’était personnel ou professionnel.

Effectivement, à peine mon téléphone activé, je constate que j’ai quatre messages. Je l’éteins à nouveau et le jette dans mon sac en claquant la porte.

En montant dans la voiture, je me rends compte que nous ne nous sommes même pas dit bonjour, et comme je le lui fais remarquer, Cécile sourit et se penche vers moi pour me faire la bise. Malgré l’inconfort de la position, j’ouvre grand les bras et l’entraîne sans scrupule dans une accolade digne de joueurs de rugby.

– Tu m’as manqué ! Désolée, je sais que tu n’es pas fan des élans démonstratifs de la famille…

– T’inquiètes, je me soigne… Tu m’as manqué aussi.

Elle démarre en souriant. Elle a de jolies couleurs et, encore une fois, je suis surprise par son décolleté. Je ne l’ai jamais vue aussi rayonnante.

– Tu es magnifique.

– Ah. Tu n’es pas mal non plus », me répond-elle avec le plus insupportable flegme.

– Sans commentaire. Dis, pourquoi tu ne m’as rien dit ?

– Tu veux dire par rapport à… ma révolution sexuelle ?

– Ah ? c’est carrément une révolution ?

– Oh oui.

– Oui, bon, pourquoi alors ? Pourquoi en avoir parlé à ma sœur et pas à moi ? Et surtout, comment as-tu fait pour qu’elle garde le secret ?

– Peut-être parce que je n’en ai pas fait un secret. Je lui ai seulement précisé que je préférais te le dire quand l’occasion se présenterait.

– Et il fallait que tu attendes que je rentre pour ça ? Tu ne pouvais pas…

– Quoi ? Par téléphone ? Par courrier ? Par mail ?  Tu aurais préféré ?

J’ai beau y réfléchir, je pense que cela m’aurait encore plus frustrée de l’apprendre à distance. 

– Soit.

– Pourquoi ? Ça change quelque chose ?

– Absolument pas.

– Bon.

Pourtant, quelque part, quelque chose a changé.  Pourquoi est-ce que je remarque son parfum, cette nouvelle gourmette à son poignet, ou encore cette chaleur inconnue dans sa voix ? Elle me regarde en haussant un sourcil et me sourit de plus belle. Trouver quelque chose à dire. Quelque chose qui se dit entre amies. Comment ma sœur aurait-elle réagi ?

– Alors, raconte ? C’est comment ?

– Et toi, c’est comment ?

– Ok, j’ai compris, question idiote.

– Non, c’est juste que je ne sais jamais comment répondre à ça. Mais peut-être qu’avec toi je peux essayer.

Elle se racle la gorge et fait mine de se concentrer sur la route.

– En fait, je pense qu’on ne peut pas s’en faire une idée. Il faut essayer. Parce que sexuellement parlant, ce n’est pas très différent d’avec un mec puisque le but reste quand même le plaisir d’un côté et de l’autre, mais en même temps, tout est différent. Comment te dire… d’une certaine façon, et en ce qui me concerne, j’ai l’impression que toutes les sensations sont décuplées avec les femmes. J’aime cette sensualité, cette douceur, cette sensibilité que je n’ai pas toujours trouvé dans l’autre sexe.

– Mais… je veux dire… socialement tu le vis comment ?

– Tu me connais, non ? Je m’en fous. Pour mes parents, c’était un coup dur, j’avoue. Mais tout est une question de temps. Je leur en laisse pour l’instant. Et pour les amis, je dois dire que c’est passé beaucoup mieux que ce que je ne pensais. Et puis au fond, les seuls jugements qui comptent vraiment à mes yeux sont le tien et celui de ta sœur.  

– Je ne pense pas que ni elle ni moi ayons à te juger…

– Enfin, tu vois ce que je veux dire.

– Humm.

– Et toi ? Quoi de neuf ?

– Pas grand-chose, si ce n’est que le retour est encore plus pénible que ce que je craignais. J’avoue que je suis complètement perdue et que je ne sais absolument pas où j’en suis.

– Par rapport à quoi ?

– A tout. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. D’un côté, je repartirais bien en humanitaire, mais si je le fais, j’ai l’impression que je ne ferai plus rien d’autre de ma vie, et d’autre part, j’aimerais me stabiliser, ici ou ailleurs. Construire quelque chose, peut-être une famille.

– Avec Fabien ?

– Je ne sais pas. Depuis qu’on est de retour, il essaie d’organiser nos prochaines missions, sans vraiment me demander mon avis. Et tu sais à quel point j’aime qu’on décide des choses à ma place…

– Mais… tu l’aimes ?

La gravité qu’elle a mis dans cette question si simple me fait sourire, puis m’attriste.

– Je ne sais pas. On s’entend bien tu sais.

– Oui, mais tu ne l’aimes pas. 

– Peut-être pas autant que je le devrais pour envisager une famille avec lui…

– Ah, mais qui a dit que c’était facile de devenir adulte ?

– A qui le dis-tu ! Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour retrouver notre enfance… ou pour la continuer ! Toutes les trois, vieillissant ensemble pour le meilleur et pour le pire !

Elle sourit.

Arrivées en centre-ville, impossible de trouver une place à proximité des cafés. C’est comme si tous les touristes de la création s’étaient donné rendez-vous ici en même temps. Et en plus il va pleuvoir…

– Tu veux qu’on aille à la maison ?

– Ok, ça fait longtemps que je n’ai pas vu ton chez toi !

J’adore son appartement. Les murs sont tapissés de photos en noir et blanc qui racontent chacune l’histoire des rues de la ville. C’est un univers très particulier, et nous avons dans le temps, passé des nuits entières à imaginer des histoires plus rocambolesques les unes que les autres à partir de ces photos.

Avant d’ouvrir la porte, elle marque un temps d’arrêt pour me prévenir que certaines choses ont changé.

Effectivement, c’est une révolution. Certains murs sont peints, dans des tons ocre et argile rouge, et les photos sont principalement en couleur, mais le principe reste plus ou moins le même. L’ambiance est différente. Plus chaleureuse, plus personnelle. Dans le salon, au-dessus du canapé, trois portraits en très grand format retiennent mon attention. Notre trio : Cécile à gauche, ma sœur à droite, et moi, merveilleusement bien encadrée. Je ne reconnais pas ces images mais je peux dire en les voyant qu’elles ont plus de cinq ans.

– Tu ne nous les avais pas montrées ces photos ?

– En fait si. Je n’ai fait qu’agrandir et recadrer les portraits qui m’intéressaient. Tu te rappelles, c’était un dimanche au marché, quand ta sœur s’est faite draguer par ce gars tout plein de poils qui voulait absolument lui offrir des appliques en céramiques, avec ces immondes fleurs jaunes dessus…

– Oh mon Dieu, oui ! Il était terrible celui-là !

– Tu veux un café ?

– Double, avec deux sucres !

– Je sais.

Pendant qu’elle s’affaire dans la cuisine, je reviens sur les photos et souris malgré moi au souvenir de cette journée. Je me souviens en effet de ces clichés. Je remarque qu’elle les a sélectionnés non seulement à des fins esthétiques, mais aussi en fonction des expressions. A droite, ma sœur semble nous regarder comme si l’une de nous avait fait une bêtise, avec une petite fossette réprobatrice soutenue par un regard mi-protecteur, mi-espiègle. Au centre, je semble mimer l’innocence parfaite : les yeux dans le vague, légèrement humides à cause du vent qui repousse mes cheveux, une esquisse de sourire sur les lèvres… pour un peu je ne me reconnaîtrais pas. Et à ma gauche, Cécile a un air grave, ce regard sérieux, quasi tragique qui lui est propre. Seul un coin de sa bouche se fend dans un sourire timide.

Quand elle arrive avec les cafés, elle surprend ma contemplation et je croise son regard. Elle a la même expression que sur la photo. Elle est belle. Elle … m’attire ?

Je ne sais pas pourquoi cette idée me traverse, mais depuis cette soirée de retrouvailles, depuis ses aveux, tout a changé. Je la vois et je veux la toucher, je lui parle et je veux l’embrasser. Sa seule proximité réveille dans mon corps une excitation que je croyais ne plus jamais ressentir, et le simple effleurement de ses doigts quand elle me tend la tasse me fait tressaillir. 

Elle surprend mon frisson involontaire et m’interroge du regard. Elle est si… si calme, et pourtant une nouvelle flamme danse dans ses yeux, un feu que je ne lui connaissais pas mais que je reconnais pour m’y consumer moi-même. Lentement, elle m’enlève le café des mains et s’en libère définitivement sur une étagère, puis pose délicatement ses mains sur mes hanches et me demande :

– Je te fais peur ?

– Non… non… enfin, c’est juste que… ça fait drôle.

– Je sais. Mais il faut que je sois sûre. Est-ce que je peux… t’embrasser ?

Le vertige que je ressens alors finit de me décontenacer. Je ne m’appartiens plus, je ne suis que plus que désir entre ses mains. Je m’entends répondre :

– J’ai… J’ai besoin que tu m’embrasses. 

Elle soupire de soulagement et me sourit tendrement. Ses mains accompagnent mon bassin contre le sien et je sens une chaleur dévorante parcourir tout mon corps. Ses bras remontent jusqu’à ce que notre étreinte me présente sa bouche comme une délivrance. 

Quand ses lèvres me touchent, je tremble de surprise, d’impatience et de certitude. Son baiser me bouleverse plus que tout ce que je j’ai pu imaginer. Une émotion presque insoutenable me submerge au contact de sa langue, de son souffle… Une émotion qui me dépasse. Alors qu’elle m’embrasse, une de ses mains caresse mes cheveux pendant que l’autre vient chercher l’une des miennes. 

Pendant une fraction de seconde, le doute m’assaille. J’ai un petit mouvement de recul et m’arracher à son corps me paraît un supplice. Pourtant, je m’interroge : que suis-je en train de faire ? Il s’agit de Cécile ! Ce n’est pas une inconnue, une aventure initiatique ou quelque chose de ce genre. C’est ma meilleure amie, une des personnes qui comptent le plus dans ma vie, un de mes points de repère, mon essentiel, mon inséparable. Mais là encore, elle me surprend en murmurant :

– J’ai peur. Moi aussi j’ai peur de tout ça, peur parce que c’est toi et moi. Peur de tout gâcher et de te perdre. Mais j’ai encore plus peur de ne rien faire. Peur de passer à côté de toi toute ma vie, de continuer à être ton amie sachant que tu représentes bien plus que ça à mes yeux, peur de devoir être à tes côtés sans pouvoir te toucher, t’embrasser, t’aimer.

Ses mots font tomber mes dernières barrières, mais quand je croise son regard, la crainte que je lis, l’angoisse d’être peut-être rejetée, me fait presque sursauter et elle se méprend sur mes intentions en rajoutant :

– Tu sais, je n’attends rien de toi. Je ne veux pas te faire peur ou te repousser. Je crois que je ne pourrais pas supporter de te perdre. Et puis, ça fait des années que je t’attends… je peux…

– Chut… Moi j’attends tout de toi. Embrasse-moi.

Elle s’exécute. Son corps vient se presser contre le mien et je réponds avec ferveur à son étreinte. Ce second baiser n’a plus aucune retenue. Il laisse s’exprimer notre soif l’une de l’autre et nos caresses deviennent plus entreprenantes. Quand je sens sa main s’aventurer sous ma chemise, j’ai l’impression de devenir folle. Dans mon impatience, je cherche maladroitement à lui enlever son haut : j’ai besoin de toucher sa peau, la sentir vibrer sous mes doigts comme je sais que je frémis sous les siens. Elle m’aide dans mon entreprise et commence de son côté à défaire mes boutons d’une main mal-assurée.

Sa peau m’affole et mes lèvres viennent la goûter au creux de l’épaule pendant qu’elle se bat avec l’ultime bouton et, quand enfin il cède, le choc de nos poitrines nous électrifie. Ne comprenant pas ce qui m’arrive, je l’écarte une seconde pour la regarder. Le mat de sa peau est rehaussé par le blanc angélique de son soutien-gorge. Je savais qu’elle avait une belle poitrine mais je suis saisie par le velouté de ses courbes. Avant mon départ, son apparence négligée, son attitude mi-timide mi-auto-dérisoire trahissait son malaise par rapport à son corps. La femme que je vois à présent – car elle est bel et bien devenue femme – assume fièrement sa féminité, bien plus que je ne l’ai jamais fait. Ses seins, en écho à son corps, sont une promesse de sensualité qui s’accomplit et se dépasse dans le silence d’un simple regard. Le sillon qui les sépare est un abîme dans lequel je veux trouver mon salut. Mes yeux l’explorent et l’escaladent jusqu’à venir s’ancrer dans les siens.

– Tu es magnifique.

– Pareil… mais mieux ! me répond-elle dans un clin d’œil. Viens.

Je sais qu’elle m’entraîne vers sa chambre, et je sais qu’en la suivant, je franchirai le seuil d’un univers duquel je ne reviendrai sans doute jamais. 

Devant sa porte, elle marque une pause, se tourne vers moi et guette ma réaction. Même si je ne sais absolument pas ce à quoi je dois m’attendre, je suis sûre d’une chose, c’est qu’à cette minute, je n’ai jamais rien autant désiré qu’elle. Je confirme donc ma détermination par un baiser sans équivoque et, en un instant, nos pantalons se retrouvent au pied du lit. Nos sous-vêtements eux-mêmes deviennent vite une gêne dans nos caresses, et si j’aime regarder son corps superbe ainsi agrémenté de blanc, j’attends sa nudité avec impatience. Alors je la provoque. 

Dégrafer son soutien-gorge me fait tout drôle. C’est un geste si anodin sur soi, mais qui prend une telle importance dans cette situation ! A son tour, elle libère ma poitrine qui trahit mon désir, et dans un élan de douceur et de tendresse, nos seins se rencontrent dans un tremblement réciproque. Je suis incapable de rationnaliser l’explosion de sens que je vis à ce moment-là. Rien d’autre ne compte que cette surface commune entre elle et moi, comme si je respirais par sa peau. A cet instant, tous mes sens sont concentrés à l’extrême, focalisés en un point : nous.

Quand elle m’allonge sur le lit, je réalise que je ne sais absolument pas quoi faire, pourtant, je ne peux m’empêcher de continuer à la caresser, à l’embrasser, comme pour répondre à un besoin partagé. Je sens ses mains partout sur moi, et quand sa langue vient frôler mon épaule pour remonter dans mon cou, je m’entends gémir, presque crier. 

Elle profite de cette seconde pour passer une de ses jambes entre mes cuisses et venir la presser contre mon sexe. Mon corps est alors pris d’un spasme que je ne peux maîtriser. La respiration me manque. Pourtant, au lieu de chercher à me dégager de son emprise, mes bras l’enserrent au point de lui faire mal. Elle plante son regard dans le mien et je ne peux supporter cette intensité. Mes paupières se ferment et j’enfouis ma tête entre ses seins. Avec la plus grande délicatesse, elle vient glisser une main dans mes cheveux et me murmure à l’oreille :

– Surtout, si tu veux arrêter ou si ça va trop vite, dis-le-moi.

Sa voix est à la fois brûlante de sensualité et frémissante d’émotion. Perturbée, j’ouvre mes yeux pour voir des larmes naître dans les siens. Je ne comprends pas ce qui m’arrive, ce qui nous arrive. Et la vague de chaleur qui fait rage dans mes zones érogènes depuis quelques minutes n’est rien comparée à la débâcle qui s’instaure dans ma poitrine. Contre moi, je sens son corps tendu, dans l’attente, insupportablement immobile. 

Alors, presque malgré moi, mes hanches esquissent de petits mouvements pour venir frotter mon entre-jambe contre sa cuisse. Une larme coule le long de ma joue et vient se perdre dans mon cou. Peut-être est-ce la sienne, peut-être la mienne. L’émotion qui nous submerge n’appelle plus à la réflexion. Je l’embrasse et nos corps suivent le mouvement de nos langues : se cherchent, se rencontrent, s’entrechoquent dans un rythme de plus en plus soutenu. Chaque frottement contre sa cuisse me provoque des décharges dans tout le corps, et pire, sentir son sexe mouillé contre ma cuisse m’électrise complètement. Nous allons vraiment jouir comme cela. L’excitation est à son comble, et quand je l’entends commencer à gémir elle aussi, je bascule brusquement dans un plaisir fulgurant. Je sens l’orgasme monter en moi comme s’il ne devait plus jamais redescendre et dans un geste tout aussi saccadé que les rafales de plaisir qui me parcourent, mes mains viennent appuyer ses fesses toujours plus fort contre ma cuisse. Presque instantanément, son corps se raidit et se tord dans des contractions qui lui arrachent un petit cri à peine étouffé. 

Je voudrais que cette sensation ne s’arrête jamais.

Il nous faut de longues minutes pour retrouver nos esprits.                                    

Elle pèse de tout son poids sur moi. D’une main distraite, je continue à lui caresser le dos. Le silence qui s’installe m’inquiète presque, mais il ne dure pas. Elle se redresse légèrement et vient croiser ses mains sur ma poitrine pour y déposer sa tête. Son visage à l’air si serein, si confiant ! Moi je bouillonne. Je veux parler, je veux comprendre, je veux savoir ce qu’elle a ressenti. Au lieu de ça, elle me dit :

– Tu es impressionnante.

– Comment ça ?

– Je n’aurais jamais pensé que… ça puisse être… comme ça…

– Et bien si toi tu ne le pensais pas, imagine un peu moi !

Et nous partons dans un fou-rire qui s’étouffe rapidement quand nos regards se croisent. Dans un dernier hoquet, elle vient m’embrasser très légèrement le bord des lèvres. A présent elle recouvre tout son sérieux et vient me chuchoter quelques mots prometteurs à l’oreille :

– Laisse-moi te montrer à quel point je… laisse-moi te faire l’amour.

Sa voix me met dans une sorte de transe et tout mon corps se réchauffe d’un coup. Elle ne me laisse pas répondre et m’embrasse à pleine bouche pendant que ses mains se fraient un chemin entre son corps et le mien. Ses jambes remontent autour de mon bassin et la voilà à califourchon sur moi, la tête penchée sur mes lèvres, ses mains caressant mes seins dans un mouvement à la fois sensuel et frénétique. 

Petit à petit, je la sens descendre le long de mon corps et sa langue parcourt tour à tour mon cou, mes seins, mon ventre. Elle me mordille légèrement, ce qui provoque une tension extrême de tous mes membres et je gémis en me tordant de plaisir. Savoir qu’elle se dirige inexorablement vers mon sexe me consume d’impatience.

            Elle y arrive enfin, mais ses lèvres viennent d’abord embrasser l’intérieur de mes cuisses, d’un côté, puis de l’autre, dans la plus insupportable langueur. De lui-même, mon corps cherche à accélérer les choses en se cabrant à chaque contact de sa bouche, mais elle résiste. Elle se rapproche lentement, toujours plus près, jusqu’à ce que je sente son souffle contre mon sexe. 

J’ai l’impression de sentir sa langue avant même qu’elle ne me touche, mais quand elle vient la glisser le long de mon clitoris, une nouvelle explosion me transporte dans une dimension jusque-là inconnue du plaisir. Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien, je ne sens plus rien que sa langue sur moi. Mon corps semble avoir du mal à supporter cette vague de plaisir, et je frissonne des pieds à la tête, sans pouvoir ni même vouloir l’arrêter.

Si elle est surprise par ma réaction, elle ne le laisse transparaître que quelques secondes pendant lesquelles je sens son regard se poser sur mon sexe. Je devrais être terriblement gênée, mais ce n’est pas le cas. Et quand sa tête replonge entre mes cuisses, je succombe à nouveau au pouvoir de sa langue. 

Par petites touches, d’abord légères, elle vient me titiller, et quand les tremblements qui me parcourent deviennent critiques, elle donne un grand coup de langue, du plus bas jusqu’au plus haut. Je laisse échapper un cri. Et avant même que je ne puisse me reprendre, sa bouche semble vouloir avaler tout mon sexe. Ses lèvres viennent s’appuyer autour de mon clitoris, qu’elles aspirent pendant que sa langue s’affaire en rythme. Progressivement, ses mouvements s’intensifient et c’est de tout son corps qu’elle vient se presser entre mes jambes. Je suis en feu. Pourtant je tremble de plus en plus mais mon esprit a renoncé à la maîtrise de mon corps. Mon cerveau lui-même se disloque et bientôt, il ne me reste qu’une évidence : elle va me faire jouir comme jamais. 

Quand le plaisir commence à déferler, depuis mon bas-ventre jusqu’à chacune de mes extrémités, mes mains, dans un réflexe, viennent se perdre dans ses cheveux pour accompagner sa tête dans ses ultimes assauts. Elle gémit alors que l’orgasme qui m’assaille m’arrache des cris et me secoue violemment. Chaque spasme contracte dangereusement mes muscles, et j’ai peur de lui faire mal, mais je ne peux rien retenir, ni le plaisir ni ses effets secondaires.  

– Ça va ? s’inquiète-t-elle devant ma quasi-pétrification encore frémissante.

– Humm…

Je suis bien incapable de lui répondre quoi que ce soit d’intelligible. J’ai même du mal à ouvrir les yeux, mais elle me regarde en caressant mon visage. Quand j’esquisse un sourire, elle vient déposer un baiser sur mes lèvres. Nous prenons le temps de synchroniser nos respirations dans le calme et la tendresse de cet instant. 

Nos mains, légères, continuent à parcourir nos corps dans un effleurement insouciant. Je ne veux plus réfléchir, plus penser, plus comprendre. Je sais. Et ce que je sais ne m’effraie pas, ne m’effraie plus. Je l’accepte comme une évidence, peut-être d’autant plus facilement que c’est elle, et que c’est moi. 

Je me sens si loin de mes troubles universitaires, ou même de ma relation avec Fabien. Ce qui vient de se passer, je ne le comprendrai peut-être jamais, mais une chose est sûre, c’est que je veux le vivre, encore et encore, avec elle, par elle. Cécile. Mon inséparable amie. Cette femme exceptionnelle. Je croyais la connaître mieux que personne et je viens de la découvrir comme je ne l’aurais jamais soupçonnée. 

Pire, c’est moi que je viens de rencontrer par sa peau, par sa bouche, par nos corps. Allongée contre moi, paisible, abandonnée, elle me regarde dans un silence plus émouvant que toutes les déclarations du monde. Elle m’a attendue m’a-t-elle dit ? Ta patience n’aura pas été veine mon amour. Laisse-moi… laisse-moi te montrer à quel point… je t’aime.

°

Elle est là, elle est vraiment là. Dans ce lit, avec moi. C’est sa peau que je sens sous mes doigts, c’est son goût que j’ai encore sur ma langue, ses frissons de plaisir dans ma mémoire … Je l’ai tellement attendue, mais pouvais-je m’attendre à cela ?! Et… que ?! que ?!… Sa main sur moi ! Qui descend… qui arrive… qui… humm… 

Two women in black & blue – Magdalena Weber

2 commentaires

  1. Chère Eloïse,
    Cette oeuvre de jeunesse, malgré ses petites maladresses, renferme en elle votre talent pour camper des personnages tendres et attachants, votre don de mener une narration riche, légère, intense et profonde. Vous parvenez à transmuer le genre érotique en manifeste humaniste où chacun.e peut se reconnaître ou apprendre à se connaître.
    Merci pour ces jolis textes. A bientôt, je l’espère.

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  2. Rien de vraiment pertinent à ajouter à ce beau commentaire de… Cécile.
    Mais je tiens juste à partager mon plaisir et ma joie à lire vos textes, d’une telle qualité humaine et narrative.
    Dans l’espoir que votre vie actuelle nous permette d’en lire encore.
    Merci.

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